Article publié par Benoît Dumoulin dans L’Incorrect.
Aristocrate épris de liberté mais très critique des ravages de l’égalité dans les sociétés démocratiques, Alexis de Tocqueville (1805-1859) entrevoit dans son analyse de la société américaine les prodromes d’un contrôle de la pensée individuelle par les masses.
Émancipé de tout enracinement dans une loi naturelle, une tradition nationale ou un droit divin, l’homme moderne a le sentiment d’être libre et de n’obéir qu’à ses désirs. L’auto-référencement de sa pensée lui en serait une preuve irréfragable. Pourtant, il n’en est rien, comme l’expliquait Alain Finkielkraut dans son discours de réception à l’Académie française le 28 janvier 2016 : « les démocrates, les modernes que nous sommes, prétendent n’obéir qu’au commandement de leur propre raison, mais ils se soumettent en réalité aux décrets de l’opinion commune. Le bon sens apparaissant comme la chose du monde la mieux partagée, on se défie des supériorités individuelles, on refuse de se laisser intimider par les personnalités éminentes, mais du « On » lui-même, chacun est la victime consentante. Comme l’a montré Tocqueville, nous sommes, en tant que citoyens libres et égaux, les sujets dociles du pouvoir social ». C’est effectivement Alexis de Tocqueville qui, le premier, a prophétisé le règne de l’opinion publique impersonnelle sur la conscience d’individus d’autant plus grégarisés qu’ils se croient libres.
Dans le deuxième volume de De la démocratie en Amérique (1840), le magistrat normand impute ce travers au principe d’égalité qui régit les sociétés démocratiques : « À mesure que les citoyens deviennent plus égaux et plus semblables, le penchant de chacun à croire aveuglément un certain homme ou une certaine classe diminue. La disposition à en croire la masse augmente, et c’est de plus en plus l’opinion qui mène le monde ». Vaut-il mieux dépendre intellectuellement d’un prince que l’on connaît ou d’une opinion publique impersonnelle qui nous donne l’illusion d’être libre ?
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