L’Incorrect publie une tribune de Stéphane Caporal-Greco, professeur de droit public, sur l’état du droit en matière d’obligation de réserve des militaires, à la suite de la publication de la tribune des généraux déplorant l’état d’insécurité chronique de la France dans Valeurs actuelles le 21 avril dernier.
En avril, une lettre ouverte appelle le président de la République, les membres du gouvernement et les parlementaires à agir pour parer à un délitement de la France que traduirait la montée de la violence et de divers périls. Signée par plus d’un millier de militaires en retraite, honoraires, officiers généraux en deuxième section et quelques cadres d’active, elle dépassera vingt-sept mille signatures en quelques semaines. Sa publication provoque l’émoi d’une partie de la classe politique et la fureur de l’exécutif : à la suite de son ministre, le chef d’état-major des Armées (CEMA) annonce des sanctions « exemplaires » contre les signataires relevant de son autorité et notamment la radiation des cadres des généraux en deuxième section.
Il est reproché pêle-mêle à cette lettre d’être reprise dans un hebdomadaire le 21 avril, soit soixante ans après le putsch des généraux, d’appeler « à une sorte d’insurrection », d’impliquer les forces armées et d’enfreindre le devoir de réserve. Levons d’abord les fantasmes. La lettre avait été rendue publique plusieurs jours avant sa reprise ; ses auteurs rappellent qu’ils ne sont plus en activité et ils ne s’adressent pas à l’armée, mais aux membres des pouvoirs publics constitutionnels que sont l’exécutif et le législatif ; ils n’appellent pas à renverser le gouvernement, mais ils le pressent d’agir contre les menaces qu’ils décrivent et de veiller à l’application des lois existantes. Affirmer que si rien n’est fait, la dégradation de la situation finira par provoquer « une explosion et l’intervention de [nos] camarades d’active », c’est s’inquiéter de ce que le gouvernement doive un jour ordonner à l’armée d’intervenir face à une situation de guerre civile qu’il n’aura pas su éviter puisque le Code de la Défense prévoit qu’en pareil cas les armées, forces dites de troisième catégorie, « peuvent être requises pour des opérations de force nécessitant des mesures de sûreté exceptionnelles ». L’hypothèse est assez sérieuse pour avoir été retenue par le général de gendarmerie Bertrand Soubelet, évoquée à mots à peine couverts par l’ancien président François Hollande et par l’ancien ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, et corroborée, en ce même mois d’avril, par un rapport signé par d’autres généraux en deuxième section adressé aux présidents des groupes parlementaires et aux ministres des Armées et de l’Intérieur. Y voir un appel à la sédition suppose donc au choix une bonne dose de mauvaise foi ou une méconnaissance de l’organisation de la Défense et de la chaîne de commandement. Qui peut croire sérieusement que des d’officiers ayant quitté l’active depuis de nombreuses années et dont certains ont quatre-vingts ou quatre-vingt-dix ans envisagent d’effectuer un pronunciamiento et qu’en plus ils l’annoncent ?
Qui peut croire sérieusement que des d’officiers ayant quitté l’active depuis de nombreuses années et dont certains ont quatre-vingts ou quatre-vingt-dix ans envisagent d’effectuer un pronunciamiento et qu’en plus ils l’annoncent ?
Reste le reproche d’avoir enfreint le devoir de réserve. Cette notion, créée par le Conseil d’État, se retrouve dans le Code de la Défense qui dispose que les opinions ou croyances, philosophiques, religieuses ou politiques sont libres, mais ne peuvent s’exprimer qu’en dehors du service et « avec la réserve exigée par l’état militaire ». Elle concerne également les généraux en deuxième section, mais évidemment pas les militaires de réserves, sauf durant leurs périodes de mission sous les drapeaux, ni bien sûr les cadres honoraires. L’éventuel manquement au devoir de réserve est apprécié au cas par cas par l’administration sous le contrôle éventuel du Conseil d’État. Il faut donc s’interroger à la fois sur le manquement et la proportionnalité de la sanction – ici la radiation qui est la plus lourde de l’arsenal répressif – mais aussi sur son opportunité.
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