Nous sommes à quelques jours de la clôture de la proclamation par le Conseil constitutionnel de la liste des personnes autorisées à présenter leur candidature à l’élection présidentielle et trois candidats totalisant plus de quarante pour cent des intentions de vote, dont un a rassemblé plus du tiers des suffrages exprimés au second tour de la présidentielle précédente, ne savent toujours pas s’ils franchiront l’étape dite familièrement des parrainages.
À l’approche de chaque élection présidentielle, chercheurs comme politiques reviennent sur ce filtre initialement destiné à éviter les candidatures burlesques et progressivement renforcé jusqu’à constituer aujourd’hui un obstacle qui peut être fatal aux candidats représentant certains courants politiques. Lorsque les rédacteurs de la Constitution instaurent ce filtre en 1958, il s’agit seulement de dissuader les candidatures fantaisistes comme celle de Ferdinand Lop qui, sous la IIIe République, proposait de réduire durée de la grossesse à sept mois et de voter une pension à la veuve du Soldat inconnu. Il faudra donc se prévaloir de cinquante signatures de présentations par des élus nationaux et locaux ; cinquante signatures qui deviendront cent lors de la révision de la Constitution en 1962 instaurant l’élection du président de la République au suffrage universel direct dans la partie organique de la loi constitutionnelle du 6 novembre. Le choix de de Gaulle a prévalu sur les propositions de Pompidou (cinq mille) et de Giscard (sept mille) qui craignaient une éventuelle déstabilisation. Celle-ci n’aura pas lieu : en 1965, l’excellent Pierre Dac qui présente expressément sa candidature comme loufoque accepte de la retirer à la demande de l’Élysée. En revanche, les milieux centristes jugent le filtre insuffisant et, en 1972, une proposition de loi sénatoriale critique « la multiplicité des candidatures » et les « inconvénients » qu’elle aurait occasionnés en 1969 (où il y eut sept candidats).
Lorsque les rédacteurs de la Constitution instaurent ce filtre en 1958, il s’agit seulement de dissuader les candidatures fantaisistes comme celle de Ferdinand Lop qui, sous la IIIe République, proposait de réduire durée de la grossesse à sept mois et de voter une pension à la veuve du Soldat inconnu.
Après l’élection de 1974, qui voit s’affronter douze candidats, une étonnante déclaration du Conseil constitutionnel du 24 mai recommande de durcir les conditions de présentation. À sa suite, la loi du 18 juin 1976 porte à un minimum de cinq cents le nombre de présentations (émanant d’au moins trente départements) et y ajoute la publication du nom de cinq cents des signataires ayant présenté chaque candidat. À partir de là, le filtre change de nature : de simple gage de sérieux, il devient un moyen d’écarter les candidatures bénéficiant pas d’un réseau d’élus locaux. Comme disait de Gaulle en 1945, le régime des partis a reparu.
La loi du 18 juin 1976 porte à un minimum de cinq cents le nombre de présentations (émanant d’au moins trente départements) et y ajoute la publication du nom de cinq cents des signataires ayant présenté chaque candidat.
À l’élection de 1981, une dizaine de candidats s’affrontent dont certains obtiennent leurs signatures grâce au soutien de partis concurrents, comme l’indéracinable Arlette Laguiller qui ne dépassera jamais six pour cent lors de ses candidatures successives pendant que l’ancien ministre des Affaires étrangères, Michel Jobert, ne parvient pas à obtenir les siennes faute d’un soutien partisan. Cette élection montre aussi que les modalités antérieures suffisaient largement à éviter les candidatures fantaisistes puisque celle de l’humoriste Coluche n’aurait recueilli tout au plus qu’une quinzaine de promesses signatures. Ce qui est sûr, c’est qu’au fil des élections, la prime aux combinaisons politiciennes se vérifie, certains candidats obtenant aussi facilement leurs signatures qu’un résultat dérisoire dans les urnes tandis que d’autres, qui réalisent des scores électoraux importants, rencontrent de grandes difficultés dans la collecte des signatures (c’est notamment le cas de Jean-Marie Le Pen, mais aussi d’autres candidats). La procédure de présentation étant interprétée comme un soutien, quoi qu’en disent les spécialistes, sa politisation donne lieu à moults intimidations et manipulations, alors qu’elle n’évite même pas l’accroissement des candidatures (quatorze en 2002).
L’ancien ministre des Affaires étrangères, Michel Jobert, ne parvient pas à obtenir les siennes faute d’un soutien partisan.
La procédure des présentations par les élus est tellement peu satisfaisante que la commission Balladur en 2007 et la commission Jospin en 2012 souhaitent y mettre fin : la première dénonce les » véritables campagnes de démarchage » auquel il donne lieu et « dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles ternissent l’image de la démocratie », la seconde propose de le remplacer par un « parrainage citoyen » en usage dans plusieurs pays pendant que des candidats susceptibles de pâtir des présentations demandent simplement le retour à l’anonymat des parrainages. Pourtant, la loi organique du 25 avril 2016 fait exactement l’inverse : jusqu’alors, les candidats recueillaient les signatures et les apportaient au Conseil constitutionnel. Désormais, ils doivent se contenter de simples promesses, les élus devant envoyer eux-mêmes le formulaire de présentation au Conseil constitutionnel ; de plus, la loi oblige à la publication de la liste des signataires au fur et à mesure de la validation des signatures par le Conseil.
La procédure des présentations par les élus est tellement peu satisfaisante que la commission Balladur en 2007 et la commission Jospin en 2012 souhaitent y mettre fin.
Tout est donc fait pour exposer les signataires à toutes les pressions du fait de la publication de leur nom en pleine campagne et même pour favoriser leur rétractation après avoir donné leur promesse ce qui contribue à maintenir des candidats dans l’incertitude jusqu’à la date de clôture. En réalité, le système repose sur une hypocrisie qui veut que les présentations soient censées émaner exclusivement des signataires sans interventions des candidats ni de leurs équipes. C’est d’ailleurs cette hypocrisie qui permet à l’actuel président de la République de compter plus de mille présentations sans être officiellement candidat. Elle est devenue encore plus visible et encore plus choquante à présent que le Conseil publie les listes au fur et à mesure des validations.
Le système repose sur une hypocrisie qui veut que les présentations soient censées émaner exclusivement des signataires sans interventions des candidats ni de leurs équipes.
Dans ces conditions, c’est peu dire que l’avantage revient aux candidatures bénéficiant d’un réseau d’élus locaux et nationaux : on voit ainsi des candidats crédités d’un ou deux pour cent réunir facilement le nombre requis de signatures parce qu’ils bénéficient d’un réseau sans commune mesure avec leurs chances d’être élus (le parti socialiste pour Anne Hidalgo, les maires pour le sympathique Jean Lassalle qui obtint un peu plus d’un pour cent à la présidentielle de 2017) et que les présenter ne fait prendre aucun risque. Dans le même temps, les trois candidats évoqués au début de cet article peinent à réunir les leurs. Le ministre de la Santé affirmait récemment que la faute en revenait à eux qui n’arrivaient pas à convaincre les élus locaux de les parrainer parce qu’ils en seraient « totalement déconnectés » : c’est refuser de voir les menaces et les pressions que subissent les élus locaux lorsqu’ils présentent certains candidats car, sauf à être déconnecté des réalités locales et rurales, on ne peut ignorer que beaucoup n’osent pas parrainer des candidats qui déplairaient au président de leur conseil départemental ou à celui de leur communauté de communes. Dans les petites communes, à la peur de l’échelon supérieur s’ajoute celle de l’animosité de tel ou tel groupe d’administrés qui peut aller loin : on ne peut tout à la fois déplorer l’augmentation des agressions à l’encontre des maires et faire mine d’en ignorer les risques liés aux parrainages. Accessoirement, c’est aussi oublier qu’en 2017, un certain Emmanuel Macron obtint des milliers de parrainages grâce aux très nombreux transfuges du partis socialiste et des Républicains et à leurs obligés locaux plus qu’à sa force de conviction.
On ne peut ignorer que beaucoup n’osent pas parrainer des candidats qui déplairaient au président de leur conseil départemental ou à celui de leur communauté de communes.
Les arguments en faveur d’un système qui n’a cessé de se durcir ne tiennent pas ou ne tiennent plus. On ne peut affirmer sans hypocrisie, en prenant un air entendu, que finalement, ces candidats auront leurs signatures comme s’ils jouaient la comédie, car depuis la réforme de 2016, ils ne disposent que des informations que leur communique régulièrement le Conseil constitutionnel. On ne peut refuser sans hypocrisie de revenir à l’anonymat de la présentation au motif qu’elle ne constitue pas un soutien et le refuser en même temps au motif qu’un élu doit rendre compte de son administration c’est-à-dire ici de son choix : soit c’est un soutien et il doit bénéficier du principe constitutionnel du secret du vote, soit c’est un simple contrôle du caractère sérieux de la candidature et il n’y a aucune raison pour devoir en rendre compte. On ne peut juger sans hypocrisie qu’il est inconcevable de ne pas trouver cinq cents signataires parmi les quarante mille potentiels quand on sait que les candidats plus institutionnels obtiennent des milliers de signatures là où il n’en faut justement que cinq cents (un peu plus par sécurité) et qu’ils n’invitent jamais à cesser cette pratique monopolistique. On ne peut prétendre sans hypocrisie que les candidats sont à égalité lorsque certains n’ont qu’à adresser un message à une liste d’élus qui n’oseront rien leur refuser pendant que d’autres doivent envoyer leurs équipes sillonner la France pour tenter de convaincre d’autres élus d’oser les parrainer puis les relancer au téléphone pour qu’ils tiennent leur promesse : autant d’énergie et d’argent dépensés pour autre chose que la campagne elle-même, des milliers d’heures qui seront perdues pour les activités militantes indispensables, des centaines de milliers d’euros qui ne seront remboursés que plus tard alors que l’argent joue un rôle décisif dans la victoire. C’est une course, dans laquelle les uns roulent en voiture de sport sur une autoroute dégagée tandis que les autres doivent emprunter les chemins vicinaux.
Soit c’est un soutien et il doit bénéficier du principe constitutionnel du secret du vote, soit c’est un simple contrôle du caractère sérieux de la candidature et il n’y a aucune raison pour devoir en rendre compte.
Certes, en accordant son parrainage au candidat le plus éloigné de ses idées et en incitant les autres élus à faire de même, le président de l’Association des maires de France sauve l’honneur d’une partie au moins de la classe politique, mais il révèle aussi l’iniquité d’un système perverti au fil du temps. Au fond, le système des parrainages fonctionne aujourd’hui comme un suffrage à double degré qui ne dit pas son nom et c’est évidemment contraire au principe de l’élection du président de la République au suffrage universel direct ; mais, plus encore, au premier degré de ce suffrage indirect, se pratiquent le clientélisme des partis et l’intimidation des électeurs par le vote public et cela, c’est une apparence de démocratie.