Emmanuel Macron le dit et le répète : rien, ni populisme, ni nationalisme, ni conservatisme ne doit s’opposer à ce progressisme qu’il incarne et qui aurait vocation à faire entrer la France, l’Europe et le monde dans le IIIe millénaire. Et les tenants de cette idéologie n’hésitent plus pour cela à faire éclater les cadres de notre société, ses cadres économiques, sociaux, institutionnels, anthropologiques même.
Georges Pompidou l’avait dit : « Arrêtez d’emmerder les Français », mais quelle avalanche de vexations en tous genres subies par ces derniers… Outre cette augmentation du prix des carburants qui fit déborder le vase en cette fin d’année 2018, on pourrait citer pêle-mêle la limitation de vitesse à 80 km/h, la multiplication des taxes et des contrôles, l’inaccessibilité d’une administration réfugiée derrière ses sites Internet, la stigmatisation médiatique de ceux qui ont l’audace de ne pas souscrire aux délires des sociologues, l’instauration autoritaire du « vivre ensemble » ou cette justice devenue injuste à force d’être déséquilibrée.
I – Le surgissement d’une révolte.
1 – Un mouvement spontané et apprécié
C’est dans ce contexte que s’est structuré de manière spontanée sur les réseaux sociaux ce mouvement des « Gilets Jaunes » qui secoue la France depuis maintenant la mi-novembre 2018. On en connaît les grandes heures : la pétition mise en ligne le 29 mai 2018 par Priscilla Ludosky, demandant une baisse des prix du carburant, qui dépasse le million de signatures fin novembre ; l’appel sur Facebook à un blocage national, le 17 novembre, lancé le 10 octobre par Éric Drouet et Bruno Lefevre ; des vidéos sur les réseaux sociaux qui deviennent « virales », dont celle de Jacline Mouraud (6 millions de vues en novembre).
On ne reviendra pas sur le détail des actions conduites au quotidien pour mais sur les dates des journées d’action. Le 17 novembre, 300.000 personnes ont participé aux blocages selon un ministère de l’Intérieur dont on peut penser qu’il minore les chiffres – effectivement très difficiles à rassembler au vu du nombre des points de blocage et de la fluctuation de la participation tout au long d’une journée[1]. Pour un mouvement spontané, ne disposant d’aucun relais spécifique dans les corps intermédiaires habitués à mettre en œuvre de telles manifestations – syndicats ou partis politiques –, cette mobilisation était une première réussite, la seconde venant du nombre de points de blocage, 2.000, et de leur répartition sur l’ensemble du territoire. Le 24 novembre, le même ministère de l’Intérieur comptabilisait 106.301 manifestants sur l’ensemble de la France, dont 8.000 à Paris, des chiffres tellement sous-estimés qu’ils ont du être revus le 2 décembre, le ministère évoquant cette fois 166.000 personnes (+ 56% !). Et samedi 1er décembre il comptabilisait 136.000 personnes pour toute la France et 5.500 manifestants à Paris.
À cette date, casseurs et pillards se sont invités. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, évoquait à la mi-journée 3.000 casseurs à l’Étoile. « Ce sont des casseurs – déclarait-il alors – et uniquement des casseurs, ce ne sont pas des “Gilets Jaunes”. ». [2] Le gouvernement a donc mis en place pour la manifestation du samedi 8 décembre un dispositif sans précédent : 89.000 membres des forces de l’ordre mobilisés, dont 8000 à Paris, des VBRG dans la capitale, la police montée, les hélicoptères… Un dispositif effectivement actif, avec des interpellations « préventives », plus de 5.000 contrôles sur les axes en direction de Paris, la fouille systématique des piétons, la confiscation du matériel de protection (lunettes de natation ou sérum physiologique), une surconsommation de grenades lacrymogènes (comme le 1er décembre) et de très nombreux tirs de flashball… Mais il y eut encore 126.000 « Gilets jaunes » manifestant en France, dont 10.000 à Paris. La décrue s’amorce avec la manifestation du 15 décembre, réunissant cette fois moitié moins de manifestants dans toute la France (66.000), et moins du tiers à Paris (3.000), mais avec des rassemblements encore importants dans certaines villes de province (4.500 à Bordeaux, 2.000 à Marseille ou 1.200 à Nantes). Un dispositif de sécurité important avait été déployé (69.000 membres des forces de l’ordre opérationnels en France, plus que de manifestants, et presque le double du nombre de manifestants dans Paris).
Le soutien populaire au mouvement a été d’emblée évident : 74% des Français trouvaient le mouvement « justifié » avant la première manifestation du 17 novembre[3], 77% « légitime » la semaine suivante[4], 85% avant le 1er décembre[5], et même après les violences de cette manifestation 72% ensuite[6]. Quant à ses caractéristiques, le mouvement était jugé après le 24 novembre « populaire » (81%), « luttant pour l’intérêt général » (78%), « courageux » (77%) et « pas violent » (62%). La seule réserve qu’émettaient en fait les Français portait sur son efficacité, 43% seulement le considérant comme « efficace »[7]. Au lendemain du 1er décembre si 85% des Français refusaient le recours à la violence de la part des manifestants (15% l’approuvant), 90% considéraient que l’exécutif n’avait pas su se montrer à la hauteur de l’événement.
À en croire les sondages, on se trouve initialement en face d’une France rurale et péri-urbaine, une France de jeunes actifs, tant hommes que femmes, appartenant essentiellement aux catégories populaires mais mordant sur les classes moyennes. C’est la révolte de gens qui travaillent mais ne survivent pourtant qu’à peine, ne bénéficiant ni des avantages des « winners » ni des aides déversées sur d’autres catégories sociales – ou sur d’autres zones géographiques. Les sondages initiaux montraient aussi dans la composition des manifestations une très grande part de personnes pas ou peu politisées, n’ayant auparavant jamais manifesté et étant moins encore des militants politiques, un élément qui évoluera un peu avec le temps, quand des mouvements déjà structurés, plus à gauche qu’à droite, investiront les ronds-points.
2 – Des corps intermédiaires dépassés.
Si les attentes de cette population pouvaient n’être que peu ou mal représentés au sommet de l’État, trois corps intermédiaires auraient eu vocation à porter leur parole, des corps intermédiaires dont l’échec est plus que jamais patent dans la France de 2018, les partis politiques, les syndicats et les collectivités territoriales.
L’échec des partis politiques n’est pas une surprise. Dans son ouvrage sur Les partis politiques (1914), Robert Michels expliquait la dérive oligarchique qui les frappait inexorablement, retrouvant des thèmes développés par Gaetano Mosca ou Moisei Ostrogorski, et Simone Weil en tirera une conclusion définitive dans sa Note sur la suppression générale des partis politiques (1950). De Gaulle avait vu le problème, mais avait été contraint de faire avec eux, en 1944 comme en 1958, cherchant simplement à créer pour le soutenir une structure – un « rassemblement » – la moins partisane possible. Mais les partis politiques ont repris ensuite le contrôle du système politique pour devenir ces écuries présidentielles mêlant à leur sommet héritiers et apparatchiks dans des jeux de réseaux qui n’ont qu’un lointain rapport avec la démocratie.
L’échec des syndicats n’est pas non plus une surprise. Maintenus sous perfusion par des partenaires, État ou patrons, qui veulent simplement avoir quelqu’un en face d’eux à la table de négociation, et ce alors que la participation aux élections professionnelle laisse pour le moins planer des doutes sur leur légitimité, ils ont connu la même dérive oligarchique que les partis politiques.
Quant à l’échec de l’échelon territorial de proximité, la commune, l’identique dérive oligarchique a été amplifiée par sa quasi-disparition, sinon symbolique, opérée à coup de transferts de compétences à d’opaques structures de coopération à la mainmise desquelles les maires des petites communes rurales tentent péniblement de résister.
En 2018, financés sur fonds publics pour « faire vivre la démocratie et le pluralisme », partis, syndicats et élus locaux, peuvent agir sans prendre en compte une opinion publique dont ils ne dépendent plus que lors d’élections qu’ils pensent maîtriser. Le résultat a été leur discrédit dans l’opinion publique, leur cote de confiance s’érodant sondage après sondage. Coupés des réalités, ils n’auront ni vu venir la crise ni su répondre aux attentes.
Du côté des syndicats, Philippe Martinez, pour la CGT, affirme initialement soutenir le mouvement, mais ne pouvoir s’y allier car il serait la chose du RN. Laurent Berger (CFDT), tente dans la soirée du 17 novembre de faire rentrer les institutionnels dans le jeu en appelant « Emmanuel Macron et Édouard Philippe à réunir très rapidement les syndicats, les organisations patronales, les associations pour construire un pacte social de la conversion écologique », mais il est évident que cette tentative de captation ne pouvait fonctionner avec des « Gilets jaunes » qui ne voulaient pas entendre parler de drapeaux syndicaux dans leurs cortèges. Ce n’est qu’après le 2 décembre que la CGT déclare vouloir « généraliser la mobilisation », et « généraliser la grève », pour « aider à faire bouger les choses », espérant alors investir le mouvement.
Dans les collectivités locales, certains élus tentent aussi de reprendre la main en dialoguant avec les « Gilets jaunes », pour se rendre compte, d’une part, que les porte-paroles locaux prétendent n’avoir aucune légitimité pour négocier, et, d’autre part, qu’ils entendent filmer la conversation, conséquence de la défiance éprouvée envers les politiques. Dans ces conditions il y eut peu d’initiatives, mais on citera l’appel lancé le 2 décembre par le maire de Béziers, Robert Ménard, et sa femme Emmanuelle, député de la circonscription, pour appeler les « Gilets jaunes » à ce dialogue local qui sera repris ensuite par le Président Macron.
Parmi les politiques, à part Nicolas Dupont-Aignan qui affirme son soutien dès avant le 17, l’opposition au gouvernement, de droite comme de gauche, est bien timide, et peu se risquent à se rendre sur place (François Ruffin pour LFI ou Jean Lasalle). Ils remettent par contre tous en question l’interprétation caricaturale du lien entre « Gilets jaunes », casseurs et violence faite par le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, avant et après le 24 et, pour le reste, se contentent de demander au gouvernement de suspendre la hausse des taxes.
Ce n’est qu’après le 1er décembre qu’ils proposent des moyens pour redonner au peuple souverain une expression directe. Laurent Wauquiez (LR) demande un référendum « sur l’ensemble des mesures qui ont été mises en place par le président de la République, dont les hausses de taxe », Olivier Faure (PS) penche pour un débat au Parlement et Marine Le Pen réclame que les chefs des partis politiques d’opposition soient reçus à Matignon. Mais cette dernière va plus loin, en demandant la dissolution de l’Assemblée nationale et la tenue d’élections législatives anticipées, qui se feraient à la proportionnelle à un tour. À gauche, Jean-Luc Mélenchon (LFI) se félicite de voir monter « une révolution populaire, citoyenne » et propose lui aussi de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer les électeurs, annonçant le dépôt d’une motion de censure – qui sera rejetée le 13 décembre, votée quand même par 70 députés avec l’appui du PS et du RN.
3 – Un gouvernement incohérent.
Face à cela, depuis le début du mouvement de contestation, le gouvernement et son ministre de l’Intérieur, utilisent plusieurs armes contre le mouvement : la peur, le discrédit, la culpabilisation et la division. La peur devait empêcher les “Gilets Jaunes” de mener leurs actions. « Bloquer un pays » n’est pas acceptable, martelait avant la première manifestation[8] le Premier ministre, et les services de l’État ont rappelé urbi et orbi les peines qu’encourent les manifestants. On réactive cette peur avec les très nombreuses interpellations et condamnations des « Gilets jaunes » les 1er et surtout 8 décembre, et l’ampleur des mesures de sécurité déjà évoquées.
La communication des services de l’État tente aussi de délégitimer le mouvement : les chiffres de la participation est ainsi sous-estimés, le moindre accident ou incident monté en épingle. Ne reculant par ailleurs devant aucun amalgame, on voit derrière les « Gilets jaunes » le spectre de « l’ultra-droite » : pour le député Florian Bachelier, « des chemises brunes se cachent sous les gilets jaunes »[9] et Gérald Darmanin dénonce la « peste brune »[10]. Mais cette tactique fait long feu. Toute la journée du 24 par exemple, le ministre de l’Intérieur reste ferme sur ses éléments de langage : les « séditieux » de « l’ultradroite » réunis dans une « coalition des réseaux » et manipulés par Marine Le Pen veulent « s’en prendre aux institutions », par des actions d’une sauvagerie inouïe[11].
Pourtant, Jean-Luc Mélenchon (LFI) déclare : « Castaner voudrait que la manifestation des ‘Gilets jaune’ soit d’extrême droite. La vérité est que c’est la manifestation massive du peuple. » Même écho à droite, où Nicolas Dupont-Aignan (DLF) dénonce une « manipulation scandaleuse » et, décrivant les « Gilets jaunes » comme « des gens honnêtes », conclut : « Le gouvernement cherche à décrédibiliser le mouvement à cause de quelques casseurs »[12].
Quant à délégitimer par la collusion avec la violence, il est évident après le 1er décembre que les « Gilets jaunes » ne sont que peu responsables de la casse, et moins encore des pillages.
On voit donc reprendre une opération de culpabilisation portant sur deux éléments, la sécurité et l’économie. Sur le plan de la sécurité, il s’agit de montrer que les manifestations créent un climat qui favorise les actions des casseurs, que les forces de l’ordre, employées dans leur quasi-totalité le 1er décembre, sont au bord du burn-out, et que la sécurité de tous les Français est donc menacée. Christophe Castaner assura dès le début que les « Gilets jaunes » « affaiblissaient » la France face au terrorisme »[13], un élément qui ressurgit après l’attentat de Strasbourg du 11 décembre. Sur celui de l’économie, on choisit de montrer de petits commerçants qui craignent, et à juste titre d’ailleurs, de voir leur chiffre d’affaire des fêtes de fin d’année, essentiel à leur survie financière, lourdement pénalisé.
Division enfin. Le gouvernement a tenté dès la semaine du 26 novembre de nouer le contact avec le mouvement, ce qui est délicat puisque celui-ci se veut auto-organisé, en réseau et sans verticalités, et que ses porte-paroles ont clairement annoncé qu’ils n’étaient en rien autorisés à négocier au nom du mouvement. Mais le 2 décembre, alors que des divisions apparaissent dans les « Gilets jaunes », avec l’appel des « Gilets jaunes libres » à la négociation, affirmant vouloir « offrir au gouvernement une porte de sortie à la crise »[14], le Président de la République demande au Premier ministre « de recevoir les chefs de partis représentés au Parlement ainsi que des représentants des manifestants »… qui ne viendront pratiquement pas à Matignon le 4 décembre. Reste enfin la possibilité de fractionner les “Gilets Jaunes” en sous-groupes et de négocier séparément – le fameux plan de concertation et/ou de dialogue local. À l’issue le gouvernement espère certainement montrer l’incohérence de certaines revendications, ce qui serait une nouvelle manière de discréditer le mouvement, et, selon la formule bien connue, « diviser pour régner », ne retenant que le plus petit dénominateur commun.
II – Un programme des « Gilets jaunes » ?
Mais, justement, quelles sont ces revendications ? On lit ici et là qu’elles seraient « disparates », « incohérentes » et qu’elles ne pourraient donc être prises en compte. Jeudi 29 novembre, le mouvement a envoyé aux médias et aux députés une quarantaine de revendications, présentées comme des « directives du peuple » que les députés devraient, obéissant à « la volonté du peuple » « transposer en loi » et « faire appliquer ». Inventaire à la Prévert se moquèrent donc nombre de journalistes, quand les politiques continuaient de recherche des interlocuteurs dûment estampillés à amener à la table des négociations, sans accorder de valeur réelle au document. Son analyse est pourtant instructive, que l’on peut faire autour de quelques thématiques[15].
1 – Économie et social.
On trouve d’abord très logiquement dans ces revendications celle autour de laquelle s’est cristallisé le mouvement, la « fin de la hausse des taxes sur le carburant ». Mais la question de la protection de l’environnement, souvent présentée par le gouvernement comme devant justifier cette augmentation, n’est pas pour autant écartée. Le manque à gagner serait en effet compensé par une meilleure répartition des taxes sur les carburants, avec une « taxe sur le fuel maritime et le kérosène », et par le changement des modes de comportement en termes de transport. D’une part en effet, il faudrait « favoriser le transport de marchandises par la voie ferrée » ; d’autre part, pour les automobiles, ce serait la « fin du CICE » et l’« utilisation de cet argent pour le lancement d’une industrie française de la voiture à hydrogène (qui est véritablement écologique, contrairement à la voiture électrique) ». Et toujours sur le plan de la protection de l’environnement, les « Gilets jaunes » préconisent un « grand plan d’isolation des logements pour faire de l’écologie en faisant faire des économies aux ménages ».
Cette approche qui si elle part du local n’omet pas de le replacer dans de plus vastes dimensions se retrouve tout au long des revendications des « Gilets jaunes ». Le social est bien sûr au cœur de leurs attentes, et leurs vœux en matière de revenus sont définis par deux « minimum » et un « maximum » : le « Smic à 1 300 euros net » ; « pas de retraite en dessous de 1 200 euros » ; et un « salaire maximum fixé à 15 000 euros » – soit 12 fois le Smic. Par ailleurs, « les salaires de tous les Français ainsi que les retraites et les allocations doivent être indexés à l’inflation ». Enfin, concernant les impôts sur ces revenus, que les « Gilets jaunes » souhaitent maintenir, il ne faut « pas de prélèvement à la source » mais « « davantage de progressivité (…) c’est-à-dire davantage de tranches », et il faut aussi rendre les entreprises égales devant l’impôt : « que les gros (MacDo, Google, Amazon, Carrefour…) payent gros et que les petits (artisans, TPE PME) payent petit ».
En matière de retraites, « le système de retraite doit demeurer solidaire et donc socialisé. Pas de retraite à points. », avec un régime unifié et la « retraite à 60 ans et pour toutes les personnes ayant travaillé dans un métier usant le corps (maçon ou désosseur par exemple) droit à la retraite à 55 ans ». Et puisque l’on parle de retraités, il faudrait éviter leur « marchandisation » : « Apportons du bien-être à nos personnes âgées. Interdiction de faire de l’argent sur les personnes âgées. L’or gris, c’est fini. L’ère du bien-être gris commence. »
Quant à la solidarité en termes de santé, le régime de Sécurité sociale doit être unifié – « Même système de Sécurité sociale pour tous (y compris artisans et auto-entrepreneurs). Fin du RSI », avec par ailleurs « augmentation des allocations handicapés », « des moyens conséquents apportés à la psychiatrie », et l’extension des aides pour les gardes d’enfants – « un enfant de 6 ans ne se gardant pas seul, continuation du système des aides PAJEMPLOI jusqu’à ce que l’enfant ait 10 ans. ».
Dans le domaine du logement, le programme des « Gilets jaunes » prévoit une « limitation des loyers » avec « davantage de logement à loyers modérés (notamment pour les étudiants et les travailleurs précaires) ». Quant à l’injonction « Zéro SDF : URGENT », elle doit s’entendre comme la demande d’un minimum de dignité pour tous les citoyens, ou au moins pour tous les résidents réguliers sur notre sol.
Il faut lutter aussi contre le chômage (« Que des emplois soient crées pour les chômeurs ») et pérenniser ces mêmes emplois (« Pour la sécurité de l’emploi : limiter davantage le nombre de CDD pour les grosses entreprises. Nous voulons plus de CDI »). Il faut « Favoriser les petits commerces des villages et centres-villes. Cesser la construction des grosses zones commerciales autour des grandes villes qui tuent le petit commerce et davantage de parkings gratuits dans les centres-villes », et, toujours pour aider le petit commerce, on notera l’interdiction « de faire payer aux commerçants une taxe lorsque leurs clients utilisent la carte bleue ».
Mais les « Gilets jaunes » se montrent ensuite particulièrement sensibles à l’impact de la mondialisation sur l’emploi, qu’il se traduise par les choix des entreprises, les directives de l’Union européenne ou la fin du petit commerce de proximité. « Protéger l’industrie française : interdire les délocalisations. Protéger notre industrie, c’est protéger notre savoir-faire et nos emplois. », voilà pour le premier point. « Fin du travail détaché. Il est anormal qu’une personne qui travaille sur le territoire français ne bénéficie pas du même salaire et des mêmes droits. Toute personne étant autorisée à travailler sur le territoire français doit être à égalité avec un citoyen français et son employeur doit cotiser à la même hauteur qu’un employeur français. », voilà pour la directive Bolkestein et ses suites.
2 – Place de l’État
Cette volonté de restaurer l’État à la française se retrouve en termes de services publics, les « Gilets jaunes » se montrant très opposés à l’évolution actuelle qui, sous la pression notamment de l’Union européenne, vise à leur démantèlement et à leur privatisation. Ils envisagent donc un retour au public, y compris par le biais de la nationalisation de certains pans privatisés de notre économie dès lors qu’ils ont une fonction d’intérêt public. Sur le plan des transports, « l’intégralité de l’argent gagné par les péages des autoroutes devra servir à l’entretien des autoroutes et routes de France ainsi qu’à la sécurité routière ». Sur celui de l’énergie, « le prix du gaz et l’électricité ayant augmenté depuis qu’il y a eu privatisation, nous voulons qu’ils redeviennent publics et que les prix baissent de manière conséquente ».
En matière de services publics régaliens, Défense et Sécurité, mais aussi d’Éducation, il s’agit là encore d’éviter les privatisations et de donner aux services existants les moyens de remplir leurs missions : « Moyens conséquents accordés à la justice, à la police, à la gendarmerie et à l’armée. Que les heures supplémentaires des forces de l’ordre soient payées ou récupérées. » ou « Maximum 25 élèves par classe de la maternelle à la terminale. » Quant aux services publics de proximité, dans les domaines des transports, de la poste, de l’éducation nationale ou de la santé, ils doivent être préservés avec la « fin immédiate de la fermeture des petites lignes, des bureaux de poste, des écoles et des maternités ».
Il n’y aurait plus d’argent ? Mais sur le service de la dette les « Gilets jaunes » sont visiblement dubitatifs sur sa légitimité, au moins partielle[16], et estiment que son remboursement intégral doit être remis en cause, lorsque le capital a été remboursé et que l’on ne rembourse que des intérêts. « Fin de la politique d’austérité. On cesse de rembourser les intérêts de la dette qui sont déclarés illégitimes et on commence à rembourser la dette sans prendre l’argent des pauvres et des moins pauvres, mais en allant chercher les 80 milliards de fraude fiscale. » Pas question non plus de continuer à brader les « bijoux de famille » de l’État pour tenter de limiter le creusement du déficit : il s’agit du patrimoine commun de la nation, d’équipements payés largement ou totalement par l’impôt, et donc : « Interdiction de vendre les biens appartenant à la France (barrage, aéroport…) ».
Quant aux changements institutionnels enfin, on ne s’étonnera pas de voir les « Gilets jaunes » réclamer la création d’un véritable référendum d’initiative populaire en lieu et place de l’actuel référendum d’initiative partagée mis en place sous le mandat de Nicolas Sarkozy en 2008. « Le référendum populaire doit entrer dans la Constitution. Création d’un site lisible et efficace, encadré par un organisme indépendant de contrôle où les gens pourront faire une proposition de loi. Si cette proposition de loi obtient 700.000 signatures alors cette proposition de loi devra être discutée, complétée, amendée par l’Assemblée nationale qui aura l’obligation, (un an jour pour jour après l’obtention des 700.000 signatures) de la soumettre au vote de l’intégralité des Français. » On remarquera sur ce point cette concession importante – et très étonnante au vu des autres revendications, au point que l’on puisse penser à une erreur de rédaction – faite à la souveraineté parlementaire : ce serait selon cette réclamation le projet amendé par l’Assemblée nationale, et pas le texte initial des citoyens, qui serait soumis à référendum.
Un autre point intéressant en matière institutionnelle est la demande de retour au septennat pour la présidence de la République, présentée ici encore de manière peu cohérente. « Retour à un mandat de 7 ans pour le président de la République » – écrivent en effet les GJ, qui ajoutent : « L’élection des députés deux ans après l’élection du président de la République permettait d’envoyer un signal positif ou négatif au président de la République concernant sa politique. Cela participait donc à faire entendre la voix du peuple. » C’est oublier que si les mandats des députés ne changent pas et en sont que de cinq années, cette différence de deux années entre les deux élections, présidentielle et parlementaire, ne saurait durer. Mathématiquement en effet il y aurait ensuite conjonction des deux élections !
Remarquons enfin sur ce point cet élément typique du manque de confiance dans la classe politique, qu’est la volonté de limiter les frais que représentent les traitements des élus ou des anciens élus. C’est la « fin des indemnités présidentielles à vie », d’une part, quand, d’autre part, « tout représentant élu aura le droit au salaire médian » – ce qui, si l’on tient compte des salaires minimum et maximum correspondrait à un peu plus de 8.000 euros mensuels. « Ses frais de transports seront surveillés et remboursés s’ils sont justifiés. Droit au ticket restaurant et au chèque-vacances. » ajoutent-ils.
Le programme des « Gilets jaunes libres » présenté le 2 décembre confirme sur le plan institutionnel la demande d’organisation de référendums réguliers sur les grandes orientations sociales et sociétales du pays, ainsi que l’adoption du scrutin proportionnel pour les élections législatives, « afin que la population soit mieux représentée au Parlement ». Il ajoutera des mesures de concertation pour tenter de résoudre la crise (« l’ouverture d’états généraux de la fiscalité, d’une conférence sociale nationale ainsi que d’assises « territoires et mobilité » qui prendront la forme de débats régionaux »).
3 – La nation et son identité.
Les réclamations des « Gilets jaunes » traduisent enfin clairement leurs préoccupations en tant qu’ensemble culturel homogène menacé. Lorsqu’ils souhaitent par exemple « que les causes des migrations forcées soient traitées », il s’agit bien d’intervenir sur les causes, c’est-à-dire, d’une part, sur cette mondialisation qu’ils refusent on l’a vu, et, d’autre part, sur les problèmes spécifiques que connaissent les pays d’origine de ces migrations forcées, pour empêcher ces dernières. On pense à la guerre, bien sûr, mais pas seulement, tant il est évident, au travers du reste des réclamations, que la migration pour cause économique est elle aussi considérée comme une migration forcée.
On relève d’ailleurs la même dualité lorsqu’ils évoquent les demandeurs d’asile. Il y a une part de volonté de protection de ces derniers : « Que les demandeurs d’asile soient bien traités. Nous leur devons le logement, la sécurité, l’alimentation ainsi que l’éducation pour les mineurs. », mais on aurait tort de croire que ces obligations impliquent un accueil : « Travaillez avec l’ONU – demandent-ils au contraire aux politiques – pour que des camps d’accueil soient ouverts dans de nombreux pays du monde, dans l’attente du résultat de la demande d’asile. » Enfin, la demande d’asile ne doit plus servir de prétexte à séjourner sur le territoire car il faut « que les déboutés du droit d’asile soient reconduits dans leur pays d’origine ».
Et pour les étrangers qui viendraient en France en comptant y rester, les « Gilets jaunes » se montrent hostiles à toute politique communautariste et demandent au contraire « qu’une réelle politique d’intégration soit mise en œuvre. Vivre en France implique de devenir Français (cours de langue française, cours d’histoire de France et cours d’éducation civique avec une certification à la fin du parcours) ».
III – Un populisme conservateur ?
1 – Un mouvement populiste.
Poser la question de savoir si les « Gilets jaunes » sont un populisme conduit à se demander ce l’on met derrière un terme de peuple qui a une triple dimension : il peut avoir une dimension sociale, assimilé alors à la notion de plèbe, la plebs latine, une dimension politique ensuite, autour de la notion de citoyenneté, le peuple étant alors ce demos indispensable en démocratie, une dimension enfin d’ensemble culturellement homogène qui renvoie cette fois à l’ethnos. Or ce phénomène des « Gilets jaunes » relève bien de ces trois conceptions, ce qui en fait sans doute le mouvement « populiste » par excellence dans la France de 2018.
Relève ainsi de la dimension plébéienne, par exemple, la volonté de lutter contre des différences sociales qui conduiraient à un écart économique trop important entre la base de la société et son sommet. En relèveraient tout autant les éléments qui traduisent en creux le discrédit de la classe politique et, de manière plus large, nous l’avons dit, de tous les corps intermédiaires, dans ces revendications où l’on ne fait jamais mention ni des partis politiques, ni des syndicats, ni des collectivités territoriales.
Ce qui conduit à la dimension démocratique : référendums populaires organisés de manière régulière, place de la proportionnelle dans les élections, on voit bien que la « sécession sur l’Aventin » des « Gilets jaunes » ne vise pas à la nomination de nouveaux « tribuns de la plèbe » qui échapperaient rapidement à leurs commettants, mais à l’institutionnalisation d’éléments de démocratie directe.
On pourrait placer aussi ici la prise en compte d’objectifs ou de cadres de l’action étatique, avec, on l’a vu, le renforcement des fonctions régaliennes et des services y afférant, mais encore, dans une approche typiquement française, celui des services publics dans les secteurs clefs de l’énergie ou des transports, ou les points eux aussi importants qui concernent l’organisation du territoire ou la protection de l’environnement
On ne saurait enfin faire l’impasse sur la dimension identitaire qui fait partie des revendications des « Gilets jaunes ». La défense des valeurs communautaires passe pour eux par la solidarité transgénérationnelle du régime des retraites, ou le maintien d’une protection sociale qui permette au plus démunis de vivre dignement, mais il est clairement entendu que cette solidarité se pense au sein d’un groupe auquel on ne peut appartenir par sa seule présence, même légale, sur un territoire.
2 – Un conservatisme.
Populisme donc, mais populisme conservateur, car ces revendications, portées par des éléments politiquement très dissemblables au sein d’un mouvement où le militant du Rassemblement National côtoie celui de La France Insoumise, au milieu de milliers d’autres pas ou peu politisés, ne peuvent trouver satisfaction que dans un certain conservatisme, ce qui fait de ces « Gilets jaunes » le mouvement spontané les plus opposé au « progressisme » qu’entend incarner Emmanuel Macron.
On pourrait, pour caractériser ce conservatisme, prendre des exemples tirés de l’histoire. C’est ainsi, par exemple, que les revendications en termes de revenu minimum ne sont pas sans rappeler ce « juste salaire » que l’on trouve dans la doctrine sociale de l’Église et qui s’exprima dans les lois proposées sous la Troisième République par des députés monarchistes et corporatistes. Un « juste salaire » qui permet à l’individu qui travaille de vivre et de faire vivre le siens dans des conditions dignes, de pouvoir économiser assez pour devenir, dans un délai normal, propriétaire de son logement, et de mettre de côté tout autant pour faire face aux accidents de la vie que pour préparer sa retraite. Autant d’éléments qui n’existent pas quand un seul salaire ne suffit plus pour faire vivre une famille, quand nombre de Français, quand bien même s’endetteraient-ils toute leur vie, ne peuvent devenir propriétaires de leur logement, et quand des enfants seront peut-être obligatoirement mis à contribution pour permettre à leurs parents de terminer leurs jours dans un minimum de dignité.
Conservatrice aussi leur approche de la communauté justifiant leur consentement à l’impôt. Examinant leurs revendications, nombre de commentateurs croient voir une contradiction entre deux axes : les « Gilets jaunes », d’une part, souhaitent voir maintenus des avantages sociaux (la retraite à 60 ans, un régime de Sécurité sociale unifié, des aides dans les domaines du logement et de l’éducation…), tout en voulant, d’autre part, payer moins d’impôts et/ou de taxes. Ce n’est pourtant pas de payer des impôts qui les dérange, car ils ont bien conscience que, demandant une protection, ils doivent payer cette dernière. Mais encore faut-il que l’impôt ainsi prélevé serve, sinon exclusivement, au moins de manière prioritaire, le groupe social national envers lequel doit s’exprimer cette solidarité financière.
Ce qu’ils refusent c’est de payer des impôts de manière inéquitable, et l’on trouve dans leurs revendications tous les éléments qui permettraient, selon eux de rétablir l’équité souhaitée : la lutte contre « l’optimisation fiscale » des grosses multinationales ou la pure et simple fraude fiscale d’autres contribuables ; une meilleure progressivité de l’impôt ; le refus des délocalisations ou celui du travail détaché ; et la lutte contre l’immigration illégale. Bref, les « Gilets jaunes » souhaitent que la richesse qu’ils produisent – car, on l’a dit, il s’agit d’un mouvement de gens qui ont un emploi – ne finisse ni en dividendes pour les spéculateurs de fonds de pension étrangers et quelques milliardaires, ni en aides à des populations illégalement présentes sur le territoire. Et c’est tout le problème du « consentement à l’impôt », qui n’est vraiment supportable que s’il existe une « fraternité » entre celui qui contribue et celui qui en bénéficie.
Plus globalement enfin, dans un état d’esprit conservateur qui a toujours détesté la notion de « table rase » comme les constructions idéologiques détachées de la réalité, il est clair que les « Gilets jaunes » s’opposent à la révolution imposée par les « sachants », à cette disparition programmée de structures comme la famille ou de concepts comme l’autorité, et à ce monde orwellien où il devient interdit de simplement décrire ce que l’on voit.
Au fond, ce que voudraient ces Français que l’on force à vivre dans un monde dont ils ne veulent pas, et à juste titre, et qui ne comprennent pas pourquoi ils ne méritent plus qu’insultes et mépris, c’est tout simplement perdurer dans leur être et conserver les cadres dont ils ont hérité. Car les « Gilets jaunes » veulent avant tout être reconnus pour ce qu’ils sont : des héritiers, héritiers de droits mais aussi de devoirs envers le monde qui leur a permis de devenir ce qu’ils sont. Les héritiers de ceux qui ont construit ce pays et fait sa richesse, et qui, comme tels, y ont effectivement un droit. Les héritiers d’un monde, avec sa culture et ses traditions, qui n’a pas mérité d’être décrié, moqué, raillé et insulté dans les médias, ni de devoir en permanence faire repentance pour tout et n’importe quoi. Et les héritiers des fondateurs d’une démocratie captée selon eux de nos jours par une oligarchie qui les trahirait sans vergogne depuis quarante ans.
Conclusion : les propositions de la Fondation du Pont-Neuf.
1 – Une lame de fond qui ne disparaîtra pas.
C’est pourquoi les mesures proposées ne satisferont pas les Gilets jaunes. Après qu’Emmanuel Macron eut annoncé un premier train de mesures (la suspension de l’augmentation des tarifs du gaz et de l’électricité, le moratoire de la hausse des taxes sur les carburants, la suspension de six mois des nouvelles modalités du contrôle technique), 78% des Français estimaient qu’elles ne répondaient pas aux attentes exprimées (dont 34% « pas du tout »). Et parmi les mesures décidées ensuite, seule la défiscalisation des heures supplémentaires a véritablement séduit (plus de 80% des Français), et nettement moins les « miettes », pour reprendre les termes des manifestants, que représentaient à leurs yeux l’augmentation de 100 euros du SMIC et la possibilité de prime exceptionnelle.
Quant au fameux « grand débat », dont le champ semble déjà restreint, on sait qu’il ne conduira pas plus que le débat sur l’identité lancé en son temps par Nicolas Sarkozy a poser les vrais problèmes… et donc à trouver des solutions. Le ferait-il, d’ailleurs, que le gouvernement ne serait pas plus avancé, car de nombreux éléments critiqués – le démantèlement des services publics, la circulaire Bolkestein sur les travailleurs détachés en Europe ou l’instauration de quotas de migrants par exemple -, sont imposés à la France par une Union européenne de laquelle non seulement il n’est pas question de s’émanciper, mais dont il conviendrait au contraire, si l’on en croit Emmanuel Macron, de renforcer le caractère fédéral.
En cette fin d’année 2018, le gouvernement espère que les trois semaines de « trêve des confiseurs » vont faire retomber la pression. On entamera alors en souplesse début janvier ce « débat national » que les médias seront chargés de relayer pour occuper l’opinion, et partis politiques et syndicats redeviendront les seuls interlocuteurs légitimes, trop heureux de se débarrasser d’un mouvement qu’ils n’auront ni vu venir ni compris, et qui leur semblait devenir un bien dangereux concurrent.
Mais penser que la page puisse se tourner ainsi serait sans doute aller bien vite en besogne, et l’on aurait tort, par exemple, de sous-estimer les liens nouveaux et forts qui se sont créés lors des rassemblements et manifestations des « Gilets jaunes ». Des Français venus de milieux sociaux différents et ayant fait des choix politiques différents, qui ne se parlaient pas, ou plus, qui ne faisaient que se croiser, qui se croyaient isolés et différents, se trouvaient d’un seul coup des points communs et faisaient l’apprentissage de la philia aristotélicienne, de cette amitié sans laquelle il n’est pas de Cité qui dure. On notera d’ailleurs combien nombre de réactions du gouvernement ou de ses relais ont eu un effet contre-productif : c’est ainsi que les tentatives initiales de stigmatisation et le mépris des hommes du pouvoir ont soudé les groupes des ronds-points, et que la confrontation directe de ces derniers – inattendue pour beaucoup d’entre eux – à la violence de la répression, leur a fait prendre conscience des craintes du pouvoir et donc de leur propre force.
Pour que ce groupe formé au hasard des initiatives locales ou nationales disparaisse, il faudrait soit la satisfaction de ses attentes, soit l’assoupissement de la lassitude. La première, on l’a dit, semble difficilement réalisable. Quant à la torpeur, elle sera secouée par trois éléments : un « débat national » qui apparaîtra vite comme une médiocre manoeuvre politicienne ; la mise en œuvre du prélèvement de l’impôt à la source, qui créera une image de perte de revenu ; et la proximité des élections européennes. Sur ce dernier point, quand on pose aux Français la question de savoir ce qu’ils feraient si une liste « Gilets jaunes » existait aux élections de mai 2019 : 13% annoncent qu’ils voteraient « certainement » pour elle, et 28% « probablement »… Il n’est pas dit d’ailleurs qu’en permettant cela une coalition LR-MoDEM, rassemblant la majorité des européistes, n’en tire l’avantage de fragmenter un peu plus le camp souverainiste, mais ce serait un jeu bien risqué dans la perspective de 2020 et de ses élections locales.
2 – La nécessité de réponses conservatrices.
Pour tenter de résoudre la crise, il faut au contraire se demander comment satisfaire les éléments conservateurs des revendications des « Gilets jaunes », leur demande de protection face aux changements radicaux qui détruisent des cadres économiques, sociaux ou anthropologiques : il s’agit de lutter contre l’idéologie progressiste de la « table rase ». De répondre à la demande sociale en redonnant de la valeur au travail et à ses fruits. À la demande identitaire ensuite, tant il est vain de croire qu’un peuple est fait de monades isolées « migrant » au gré de leurs désirs. À la demande politique enfin, car si le conservatisme, effectivement, fait la part belle aux corps intermédiaires, c’est sous la réserve qu’ils remplissent effectivement leur fonction, ce qui n’est pas le cas de nos jours, et en tempérant cela par la possibilité de lien direct avec le peuple – l’usage du référendum dans l’esprit gaullien ayant ici valeur de symbole. Et l’on pourrait ajouter, au point de croisement des trois, sans laquelle d’ailleurs leur réalisation serait sans doute impossible, la demande de réaffirmation de la souveraineté nationale face à la dictature du droit, qu’elle prenne la forme des normes issues d’institutions supranationales ou des arrêts prononcés par des juridictions du même type.
Quelles peuvent être les propositions conservatrices faites par notre Fondation ? Dans un premier temps, trois axes nous semblent essentiels, qui correspondent aux trois dimensions, sociale, politique et identitaire du peuple, trois axes dans lesquels on ne retiendra à chaque fois que deux mesures, complémentaires.
Le premier axe, social, vise à redonner confiance dans le travail et dans le fruit du travail. Cela passe par un soutien à cette propriété immobilière pour laquelle le Chef de l’État manifeste une détestation profonde, car l’accès à la propriété du logement doit être facilité. Cela passe ensuite par la transmission de ce patrimoine et la suppression des droits de succession y afférant : le fruit de son travail, lorsque l’on a choisi de l’économiser après avoir payé des impôts équitables, ne doit pas être une seconde fois taxé.
Le deuxième axe, politique, vise à redonner confiance dans la politique, en permettant au peuple de mieux faire entendre sa voix. Cela passe par la mis en place d’un véritable référendum d’initiative populaire – ou d’initiative citoyenne. Mais il faudra aussi revivifier les indispensables corps intermédiaires en renforçant leurs éléments de démocratie interne.
Le troisième axe, identitaire, sans lequel les deux autres ne pourraient être effectifs, est de redonner confiance dans la nation. En faisant d’abord primer, lorsque c’est nécessaire, le droit national sur les normes internationales comme sur les arrêts des juges internationaux. En redéfinissant ensuite les conditions d’accession à la nationalité et celles de la résidence sur le territoire national.
[1] Le Figaro.fr, «Gilets jaunes : 136.000 manifestants de Paris à Marseille », par Gilles Boutin, Mis à jour le 02/12/2018 à 15:57 Publié le 01/12/2018 à 13:02
[2] À titre de comparaison, les manifestations du 1er mai 2018 rassemblaient entre 145 et 200.000 personnes dans toute la France, la « fête à Macron », toujours en mai 2018, en avait rassemblé 40.000, et le « Jour de colère » dirigé contre Hollande en 2014 avait rassemblé à Paris 17.000 personnes selon l’Intérieur et 120.000 selon les organisateurs.
[3] Sondage Odoxa des 15-16 novembre.
[4] Sondage Odoxa des 21-22 novembre.
[5] Sondage Odoxa des 27-28 novembre.
[6] Sondage Harris Interactive du 3 décembre.
[7] Sondage Odoxa des 21-22 novembre.
[8] Le Point.fr, « Gilets jaunes : on peut manifester mais bloquer un pays n’est pas acceptable (Philippe) », AFP, publié le 16/11/2018 à 12:18.
[9] Le Figaro.fr, « Florian Bachelier (LaREM) : des chemises brunes se cachent sous beaucoup de gilets jaunes, par Mathilde Siraud, Mis à jour le 22/11/2018 à 20:10 Publié le 22/11/2018 à 19:14.
[10] Huffingtonpost.fr, « Gilets jaunes: pour Darmanin c’est la peste brune qui a manifesté sur les Champs-Elysées », 25/11/2018 14:35 CET | Actualisé 25/11/2018 14:35 CET
[11] R. Bx. et Philippe Martinat, « Violences sur les Champs-Elysées : Christophe Castaner accuse Marine Le Pen et l’ultradroite », Le Parisien.fr, 24 novembre 2018, 12h55.
[12] Pour tous cf. Le Figaro.fr, «Gilets jaunes : Macron et Castaner au coeur des critiques », par Morgane Rubetti Mis à jour le 25/11/2018 à 12:12 Publié le 24/11/2018 à 17:07.
[13] « Les gilets jaunes affaiblissent le pays face au terrorisme, argue Christophe Castaner », Marianne.net, publié le 20/11/2018 à 09:30.
[14] 20minutes.fr, « Dans une tribune, des gilets jaunes libres » autoproclamés appellent à une «sortie de crise», C. Ape. avec AFP, Publié le 02/12/18 à 11h13 — Mis à jour le 02/12/18 à 11h13.
[15] Circule aussi sur Internet une « Charte des Gilets jaunes » publiée début décembre. Le document, beaucoup plus radical, n’a pas été publié et est sans doute moins légitime que le premier.
[16] La « Charte des Gilets jaunes évoquée » est plus claire : « L’essentiel des taxes et des impôts qui accablent les Français provient de l’escroquerie de la Loi Pompidou/Giscard du 3 janvier 1973 qui a obligé l’Etat à emprunter sur les marchés internationaux. Depuis cette date, la dette de la France a été multipliée par 100 pour atteindre la somme faramineuse de 2300 milliards d’euros. C’est au nom de cette prétendue dette que Macron et ses complices veulent nous faire cracher notre « pognon de dingue ». Tant que nous n’aurons pas mis fin à cette supercherie, les maux du peuple de France ne cesseront pas. »
Annexe : Revendications des Gilets jaunes envoyées aux médias et parlementaires le jeudi 29 novembre.
Députés de France, nous vous faisons part des directives du peuple pour que vous les transposiez en loi (…). Obéissez à la volonté du peuple. Faites appliquer ces directives »
- Zéro SDF : URGENT.
- Davantage de progressivité dans l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire davantage de tranches.
- Smic à 1 300 euros net.
- Favoriser les petits commerces des villages et centres-villes. Cesser la construction des grosses zones commerciales autour des grandes villes qui tuent le petit commerce et davantage de parkings gratuits dans les centres-villes.
- Grand plan d’Isolation des logements pour faire de l’écologie en faisant faire des économies aux ménages.
- Impôts : que les GROS (MacDo, Google, Amazon, Carrefour…) payent GROS et que les petits (artisans, TPE PME) payent petit.
- Même système de Sécurité sociale pour tous (y compris artisans et autoentrepreneurs). Fin du RSI.
- Le système de retraite doit demeurer solidaire et donc socialisé. Pas de retraite à points.
- Fin de la hausse des taxes sur le carburant.
- Pas de retraite en dessous de 1 200 euros.
- Tout représentant élu aura le droit au salaire médian. Ses frais de transports seront surveillés et remboursés s’ils sont justifiés. Droit au ticket restaurant et au chèque-vacances.
- Les salaires de tous les Français ainsi que les retraites et les allocations doivent être indexés à l’inflation.
- Protéger l’industrie française : interdire les délocalisations. Protéger notre industrie, c’est protéger notre savoir-faire et nos emplois.
- Fin du travail détaché. Il est anormal qu’une personne qui travaille sur le territoire français ne bénéficie pas du même salaire et des mêmes droits. Toute personne étant autorisée à travailler sur le territoire français doit être à égalité avec un citoyen français et son employeur doit cotiser à la même hauteur qu’un employeur français.
- Pour la sécurité de l’emploi : limiter davantage le nombre de CDD pour les grosses entreprises. Nous voulons plus de CDI.
- Fin du CICE. Utilisation de cet argent pour le lancement d’une industrie française de la voiture à hydrogène (qui est véritablement écologique, contrairement à la voiture électrique.)
- Fin de la politique d’austérité. On cesse de rembourser les intérêts de la dette qui sont déclarés illégitimes et on commence à rembourser la dette sans prendre l’argent des pauvres et des moins pauvres, mais en allant chercher les 80 milliards de fraude fiscale.
- Que les causes des migrations forcées soient traitées.
- Que les demandeurs d’asile soient bien traités. Nous leur devons le logement, la sécurité, l’alimentation ainsi que l’éducation pour les mineurs. Travaillez avec l’ONU pour que des camps d’accueil soient ouverts dans de nombreux pays du monde, dans l’attente du résultat de la demande d’asile.
- Que les déboutés du droit d’asile soient reconduits dans leur pays d’origine.
- Qu’une réelle politique d’intégration soit mise en œuvre. Vivre en France implique de devenir français (cours de langue française, cours d’histoire de France et cours d’éducation civique avec une certification à la fin du parcours).
- Salaire maximum fixé à 15 000 euros.
- Que des emplois soient crées pour les chômeurs.
- Augmentation des allocations handicapés.
- Limitation des loyers. Davantage de logement à loyers modérés (notamment pour les étudiants et les travailleurs précaires).
- Interdiction de vendre les biens appartenant à la France (barrage, aéroport…)
- Moyens conséquents accordés à la justice, à la police, à la gendarmerie et à l’armée. Que les heures supplémentaires des forces de l’ordre soient payées ou récupérées.
- L’intégralité de l’argent gagné par les péages des autoroutes devra servir à l’entretien des autoroutes et routes de France ainsi qu’à la sécurité routière.
- Le prix du gaz et l’électricité ayant augmenté depuis qu’il y a eu privatisation, nous voulons qu’ils redeviennent publics et que les prix baissent de manière conséquente.
- Fin immédiate de la fermeture des petites lignes, des bureaux de poste, des écoles et des maternités.
- Apportons du bien-être à nos personnes âgées. Interdiction de faire de l’argent sur les personnes âgées. L’or gris, c’est fini. L’ère du bien-être gris commence.
- Maximum 25 élèves par classe de la maternelle à la terminale.
- Des moyens conséquents apportés à la psychiatrie.
- Le référendum populaire doit entrer dans la Constitution. Création d’un site lisible et efficace, encadré par un organisme indépendant de contrôle où les gens pourront faire une proposition de loi. Si cette proposition de loi obtient 700 000 signatures alors cette proposition de loi devra être discutée, complétée, amendée par l’Assemblée nationale qui aura l’obligation, (un an jour pour jour après l’obtention des 700 000 signatures) de la soumettre au vote de l’intégralité des Français.
- Retour à un mandat de 7 ans pour le président de la République. L’élection des députés deux ans après l’élection du président de la République permettait d’envoyer un signal positif ou négatif au président de la République concernant sa politique. Cela participait donc à faire entendre la voix du peuple.)
- Retraite à 60 ans et pour toutes les personnes ayant travaillé dans un métier usant le corps (maçon ou désosseur par exemple) droit à la retraite à 55 ans.
- Un enfant de 6 ans ne se gardant pas seul, continuation du système des aides PAJEMPLOI jusqu’à ce que l’enfant ait 10 ans.
- Favoriser le transport de marchandises par la voie ferrée.
- Pas de prélèvement à la source.
- Fin des indemnités présidentielles à vie.
- Interdiction de faire payer aux commerçants une taxe lorsque leurs clients utilisent la carte bleue. Taxe sur le fuel maritime et le kérosène.