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[vc_column_text css= ».vc_custom_1537483493898{margin-top: 20px !important;} »]Remarques sur le projet de loi constitutionnelle « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace » du 9 mai 2018
Avant-propos de Charles Beigbeder
Postface de Christophe Boutin
Juin 2018
Tout comme son prédécesseur Nicolas Sarkozy faisant adopter en 2008 une vaste révision constitutionnelle un an à peine après son élection, le président Emmanuel Macron, soucieux de marquer l’histoire institutionnelle et de le faire à sa façon, au pas de charge, a fait présenter il y a quelques semaines, par son premier ministre et son ministre de la Justice, Garde des Sceaux, un projet de loi constitutionnelle « Pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ». Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 9 mai 2018, ce projet de loi comporte dix-huit articles précédés d’un substantiel exposé des motifs. Il est accompagné de deux projets de loi, organique et ordinaire, portant le même intitulé, qui ont été enregistrés le 23 mai à la présidence de l’Assemblée nationale.
En soi, ce projet de révision est loin d’être négligeable, dès lors qu’il inscrit dans la norme suprême un certain nombre de transformations significatives- qu’il s’agisse du statut des ministres ou des anciens présidents, de la procédure parlementaire, de l’indépendance de la justice ou de la décentralisation. Pourtant, il apparaît relativement modeste comparé à plusieurs révisions récentes, comme celle de 2003 sur la décentralisation, et a fortiori, celle du 23 juillet 2008. Si ce projet de loi constitutionnelle apparaît particulièrement intéressant, c’est par ce qu’il révèle de la méthode et de la pensée du président de la République, qui est de toute évidence le grand inspirateur de la révision. Ce qu’il révèle, c’est – dans la ligne de ce « en même temps » qui est apparu très vite comme la devise cachée du nouveau chef de l’État -, la combinaison improbable d’un discours « progressiste » dominé par les leitmotivs de l’évolution et de la modernité, et d’un projet (incroyablement) classique, qui apparaît à beaucoup d’égards comme un retour aux sources de la Ve République, ou encore, déclare l’exposé des motifs, à « l’esprit de 58 ». En même temps l’un, et l’autre : c’est sur cette constitution-Janus que l’on doit donc se pencher si l’on entend décrypter la pensée et les intentions de son initiateur – en examinant, successivement, ces deux visages opposés : le progressisme du discours faisant face au classicisme du projet..
I. Le « progressisme » du discours.
[dropcap]L[/dropcap]e projet de révision constitutionnelle dont on constatera plus loin le classicisme est en effet précédé, et comme « enrobé », d’un discours destiné à le justifier : à laisser entendre à l’opinion publique, aux Parlementaires de la majorité et aux médias combien cette révision était à la fois attendue et nécessaire. A en croire la première phrase de l’exposé des motifs, « en se rendant aux urnes au printemps 2017, les Français ont exprimé une volonté profonde de changement de notre vie politique ». Ils ont alors « appelé de leurs vœux une mutation de nos mœurs et de nos pratiques politiques tout en adhérant par leur vote à l’engagement pris pendant sa campagne par le président de la république : moderniser notre démocratie (…) ».
« La rénovation des institutions » est « attendue par les Français » : c’est donc en réponse à cette « aspiration démocratique très forte » que fut conçue la révision, qui aurait acquis par là-même une légitimité incontestable. Mais bien que les Français aient signé un blanc-seing au gouvernement, celui-ci va s’attacher à expliquer sa démarche – avec une duplicité assez frappante, puisque son discours combine les arguments rhétoriques, les silences, et ce que l’on est tenté d’appeler des mensonges.
A. Effets de manche
Une première série de justifications relève de la rhétorique, sinon de l’effet de manche, dans la mesure où celles-ci n’ont qu’une consistance limitée, ou un rapport lointain avec la révision entreprise, qu’il s’agisse de la modernisation, de l’écologie, de la responsabilité ou de la représentativité.
- 1) Modernisation
Le thème de la modernisation était déjà, en 2008, le principal argument des initiateurs de la révision : la constitution ayant été adoptée 50 ans plus tôt, il était indispensable qu’elle fasse l’objet de rénovation la plus large possible – oubliant au passage qu’elle avait été révisée à pas moins de seize reprises au cours des quinze années précédentes… La loi constitutionnelle adoptée le 23 juillet 2008 s’intitule d’ailleurs loi de « modernisation des institutions de la Ve République ». L’argumentation avancée dans le projet de loi constitutionnelles du 9 mai 2018 semble témoigner de l’accélération de l’histoire, puisqu’elle souligne que « Depuis 10 ans, la constitution du 4 octobre 1958 n’a pas connu de révision », comme s’il s’agissait en effet d’un délai interminable rendant urgente la mise en chantier d’une réforme de la norme fondamentale : « les évolutions que nous avons connues depuis une décennie nous imposent de reconsidérer certains modes de fonctionnement de nos institutions », et font qu’ « une actualisation des mécanismes de la Ve République (…) est une nécessité pour notre pays ». Mais de quelles évolutions s’agit-il ? Quelles sont donc ces mutations qui susciteraient de façon évidente un « besoin de rénovation (…) intense » ? Y a-t-il là autre chose que la volonté de changer pour changer, conformément à une sorte de « bougisme » institutionnel déjà repérable en 2008 ? Et qu’est-ce d’ailleurs que cette « modernisation » dont on fait l’axe central de la réforme alors qu’elle constitue depuis des décennies un lieu commun des gouvernements successifs, qui s’affrontent au nom de la Modernité et n’hésitent pas à remplacer un texte de modernisation par un autre, qu’ils prétendent encore plus moderne que le précédent : si l’on en croit leurs intitulés, depuis l’an 2000, pas moins de 17 ordonnances, 36 lois, 147 décrets et 645 arrêtés ont été adoptés en France en vue de « moderniser » quelque chose.
Mais dans l’ordre du droit constitutionnel, la modernisation n’a pas pour seul inconvénient de ne pas savoir ce qu’elle est ni où elle mène : elle va à l’encontre d’une logique de la longue durée, la stabilité d’une constitution étant en effet un élément substantiel de son prestige, de sa crédibilité, et donc de son autorité. L’ordre constitutionnel ne relève pas de l’obsolescence programmée : à cet égard, l’exemple de la constitution fédérale américaine, qui n’a été modifié qu’à quatorze reprises depuis 1804, mériterait d’être médité…
- 2) Ecologie
Dès le début de l’exposé des motifs, est également invoquée la problématique environnementale, d’ailleurs associée au thème de l’évolution : « Nous devons (…) faire face à de nouveaux défis, notamment le changement climatique ». A cette remarque de bon sens, fait suite une déduction nettement plus problématique : « nos institutions doivent permettre de répondre à ces nouveaux enjeux ».
Plus problématique, dans la mesure où l’on peut se demander en quoi les institutions actuelles ne permettent pas d’y répondre, en quoi les nouvelles le permettront mieux, et plus largement, quel peut bien être le rapport entre les deux. C’est ce à quoi est supposé répondre l’article 2 du projet de loi constitutionnelle, tel que l’éclaire l’exposé des motifs : « Lors du sommet de Paris en 2015, la France a pris la tête des nations entendant agir contre les changements climatiques. Il est important que notre loi fondamentale puisse traduire ce choix de la nation en confiant au législateur la responsabilité de définir les principes fondamentaux de l’action contre les changements climatiques ».
Plus sèchement, l’article 2 dispose qu’ « au 15e alinéa de l’article 34 de la constitution, après le mot : « environnement », sont insérés les mots « et de l’action contre les changements climatiques ». Où l’on comprend mieux le caractère superfétatoire de la révision : actuellement, l’article 34 de la constitution dispose que « La loi détermine les principes fondamentaux (…) de la préservation de l’environnement », ce qui, de toute évidence, intègre la lutte contre le changement climatique, laquelle n’est pas dissociable de la préservation de l’environnement.
Ce qui permet de conclure que, sur ce plan, la révision est purement symbolique, n’ajoutant à la constitution rien qui ne s’y trouve déjà.
- 3 Responsabilité
Troisième exemple significatif : la mise en avant de la notion de responsabilité – autre lieu commun de la rhétorique constituante contemporaine, comme on le constate à propos de la préparation de la révision de 2008 : « Je souhaite », déclarait alors le président Sarkozy dans son discours d’Epinal du 12 juillet 2007, « que le travail du Comité de réflexion s’organise autour de la notion de responsabilité. » Et de préciser quelques jours plus tard que la responsabilité est « la question centrale de la réforme des institutions de la République » (19 juillet 2007). Le résultat final sera absolument nul.
Cette fois, le thème figure dans le titre même de la révision ( des institutions « plus responsables »), et se trouve ainsi défini comme un axe essentiel: « l’un des enjeux de cette révision constitutionnelle est de rendre les acteurs publics plus responsables des décisions qu’ils prennent et des politiques qu’ils mènent. » Cependant, cet « esprit de responsabilité » n’est pas sans susciter d’assez fortes interrogations.
D’une part, en effet, la notion ne semble pas précisément définie, hésitant entre le sens juridique (avoir à répondre de quelque chose devant quelqu’un), et le sens vulgaire ( responsabilité, généralement au pluriel, comme synonyme de « fonction » ), évoquant par exemple les « responsabilités professionnelles et sociales », le fait que « le législateur a la responsabilité de définir…», ou l’accroissement des « responsabilités » des collectivités locales.
D’autre part, lorsqu’il semble évoquer le sens juridique du mot, il le fait, là encore, sur un mode essentiellement rhétorique : ainsi, lorsqu’il évoque le « besoin de réformes qu’éprouvent nos concitoyens et (…) l’exigence de responsabilité qui en est la contrepartie nécessaire ». En quoi la responsabilité serait-elle la « contrepartie nécessaire » des réformes attendues par les Français ? Responsabilité de quoi, d’ailleurs, et devant qui ? Et enfin, avec quelles conséquences – une responsabilité dépourvue de conséquences étant évidemment inexistante…
Sur ce plan, l’exposé des motifs insiste certes sur le « véritable Printemps de l’évaluation » que susciterait le renforcement des compétences du Parlement : « c’est le principe de responsabilité des acteurs publics qui est à l’œuvre pendant que les assemblées recouvrent un champ d’action important comme dans la plupart des Parlements des grandes démocraties contemporaines ». Mais la question demeure, de savoir en quoi ces « acteurs publics » ( un terme qui semble laisser entendre que les Parlementaires ne font pas partie de cette catégorie) pourraient être considérés comme « plus responsables » devant le Parlement qu’ils ne le sont déjà.
- 4) Représentativité
Dernier exemple : en quoi la révision prévue conduira-t-elle la démocratie française à devenir « plus représentative », conformément au titre même du projet de loi constitutionnelle ?
Au mieux, cet accroissement de la représentativité sera effet la conséquence, non point de la loi constitutionnelle, mais de la loi ordinaire qui l’accompagne et qui prévoit « l’introduction d’une dose de représentation proportionnelle pour élire les députés » ainsi que « l’interdiction du cumul des mandats dans le temps au-delà de trois mandats consécutifs ».
Accompagnant le projet de révision, c’est ce qu’affirme l’exposé des motifs du projet de loi n° 976 « Pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace » enregistré le 23 mai 2018 : « L’introduction de l’élection de députés à la représentation proportionnelle permettra d’améliorer la représentativité du Parlement afin que les différentes sensibilités politiques y soient mieux représentées. (…) Un Parlement aux effectifs resserrés mais plus efficace et plus représentatif de la diversité des sensibilités politiques de la Nation, une respiration démocratique permise par le renouvellement des responsables politiques, voici donc les objectifs de la présente réforme ».
Mais il s’agit de la loi ordinaire. Dans le projet de révision, en revanche, rien de tout cela –sauf à considérer comme un surcroît significatif de représentativité la création d’une « Chambre civile » non élue qui organisera « la consultation du public » et gérera les pétitions « dans un cadre rénové ».
Au total, la révision elle-même, après avoir reconnu le besoin des Français « d’être mieux représentés, de disposer d’élus plus en phase avec la société » délaisse donc ce problème qui figure pourtant dans son titre, et semble ne pas se soucier du déficit démocratique pourtant implicitement reproché à une Ve République en voie d’ « épuisement ».
B. Silences
Autre caractéristique du discours accompagnant le projet de loi de révision, ses silences : pourquoi avoir inscrit certains des éléments saillants de la réforme annoncée ailleurs que dans la future loi constitutionnelle ? On songe ici aux trois réformes les plus emblématiques, les plus médiatisées, les plus symboliques et les plus lourdes de conséquences politiques à court, moyen et long terme : la réduction du nombre des Parlementaires, l’introduction du scrutin proportionnel dans l’élection des députés, et l’interdiction du cumul dans le temps des mandats électifs au-delà de trois mandats consécutifs. Si certaines réformes sont effectivement attendues, avec impatience, par une large partie de la population, ce sont incontestablement celles-ci, et non pas celles qui, quelle que soit leur importance véritable, relèvent de la technique législative ou du mécano institutionnel.
Or, ces réformes, qui devraient entraîner une transformation significative du regard porté par les Français sur leurs élus – et donc, cette « modernisation » de la démocratie qui constitue (prétendument) la finalité de la révision- feront simplement l’objet de (deux) lois. Des lois dont les projets ont été enregistrés à la présidence de l’Assemblée nationale le 23 mai 2018, et qui portent toutes deux le même titre que le projet de loi de révision constitutionnelle : loi organique, pour la réduction du nombre de parlementaires, et loi ordinaire, pour l’introduction d’une dose de proportionnelle et pour l’interdiction du cumul des mandats dans le temps.
La question se pose alors de savoir pourquoi ?
Sans doute l’inscription dans la constitution de ces nouvelles dispositions n’est-elle pas juridiquement obligatoire. De fait, de simples lois, organiques ou ordinaires, étaient suffisantes. Mais en définitive, il eut été plus simple, et plus satisfaisant, à divers points de vue, de les introduire dans le projet de loi constitutionnelle.
Rien, tout d’abord, ne l’interdisait : c’est ce que notait déjà en 1958, sur la même question, l’un des plus fins juristes de sa génération, qui participe alors aux travaux constituants et deviendra bientôt ministre de la Justice du général De Gaulle, Jean Foyer. « Objectera-t-on que la tradition est contraire à l’inclusion des règles du droit électoral dans la loi constitutionnelle ? En droit, l’objection est sans valeur aucune. La loi constitutionnelle est au sommet de la pyramide des normes juridiques. (…) L’esprit se refuse à comprendre quelle règle pourrait avoir la vertu d’interdire un domaine à l’emprise du pouvoir constituant… pour le réserver au pouvoir législatif ordinaire ! En réalité, la tradition invoquée est celle de la monarchie Parlementaire et des lois constitutionnelles de 1875. Au contraire, les constitutions de la période révolutionnaire posaient elles-mêmes les règles du suffrage en tous leurs détails » ( note de Jean Foyer à Gaston Monnerville, juin 1958, in Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la constitution du 4 octobre 1958, Paris, la documentation française, 1987, t. 1er, p. 542) : et Foyer de proposer l’inscription, dans le projet constitutionnel, d’une référence au mode de scrutin majoritaire.
Si rien n’interdit cette inscription, et si rien n’empêchait d’ajouter trois articles à une loi constitutionnelle qui en comporte déjà dix-huit, pourquoi ce choix ? On peut imaginer diverses réponses.
La première, c’est que le gouvernement ne tient pas vraiment à ce qu’elles soient adoptées.
Ou qu’il pense qu’elles risquent de ne pas l’être, et qu’il estime qu’au regard de la procédure de l’article 89, al. 2 ( vote du projet de loi constitutionnelle par les deux assemblées en termes identiques), les réticences des Parlementaires (à se voir amputés d’une fraction significative de leurs membres, élus à la proportionnelle et privés d’effectuer plus de trois mandats consécutifs ) ont de fortes chances d’entraîner, à ce niveau, le blocage du projet de loi constitutionnelle. En somme, il s’agirait de présenter ces réformes, puisqu’elles constituent l’une des principales promesses de campagne du candidat Macron, sans pour autant les introduire dans le projet de loi constitutionnelle- et en laissant ainsi aux parlementaires ( et notamment, aux sénateurs) la responsabilité éventuelle de leur non-adoption – laquelle n’empêcherait pas celle de la loi constitutionnelle que le gouvernement juge sans aucun doute, on le verra plus loin, beaucoup plus importante.
Enfin, dernière hypothèse, le gouvernement tiendrait à ne pas conférer une valeur constitutionnelle à ce type de mécanisme – et notamment, au mode de scrutin, afin de pouvoir, le cas échéant, en changer plus facilement si le besoin se faisait sentir.
C.Mensonges ?
Enfin, après les effets de manches et les silences suspects, la dernière couche de l’enrobage relève pratiquement du mensonge, qu’il s’agisse d’affirmer la continuité avec la révision du 23 juillet 2008 ou de prétendre vouloir, à travers la nouvelle révision, renforcer le Parlement et rééquilibrer les institutions.
- 1) La volonté de renforcer le Parlement
L’exposé des motifs insiste d’abord sur la nécessité d’avoir « une vision globale du Parlement et de ses missions », la présente révision étant présentée comme le prolongement de celle de 2008 et de la « rénovation profonde des pratiques Parlementaires » initiée par cette dernière. En ce sens il insiste en particulier sur trois points censés susciter un « cercle vertueux » : une meilleure gestion du temps, un approfondissement des travaux, une plus grande visibilité.
Une meilleure gestion du temps : en premier lieu, « il importe de mieux disposer du temps éminemment précieux du Parlement », de lui permettre de « gagner un temps précieux ». En procédant à une « rationalisation de la procédure Parlementaire », et notamment, de l’examen des textes financiers, le Parlement, « par voie de conséquence, (…) pourra (…) dégager trois semaines de séance à l’automne pour examiner des textes non budgétaires ». Ce qui semble laisser entendre que le Parlement disposera de marges de manœuvres accrues, et donc, d’une plus grande liberté.
Ce faisant, il pourra améliorer ses propres travaux : « le texte propose de mieux définir la notion de « cavalier législatif » afin que le débat législatif se tienne sur le projet ou la proposition en discussion et non sur des éléments périphériques. Ce faisant, le Parlement pourra débattre de manière plus approfondie sur les amendements qui ont une réelle portée et la loi adoptée sera de meilleure qualité. » En parallèle, les modifications procédurales envisagées conduiront à rendre la séance plénière « plus dynamique ». En outre, dans le cadre de ce que le projet de loi constitutionnelle appelle un « printemps de l’évaluation », les assemblées auront la possibilité de s’intéresser véritablement au devenir des textes, notamment financiers, qu’elles ont adoptés.
Enfin, ces différentes modifications accroîtront la lisibilité des débats Parlementaires pour les citoyens, elles feront « de la loi une norme de qualité, lisible et claire, conformément à sa vocation et à son objet », et de façon générale, permettront « de donner plus de visibilité » aux assemblées et à leurs travaux.
Autant de perspectives qui peuvent effectivement paraître séduisantes et traduire une véritable volonté de restauration du Parlement, mais qui, en réalité, ne sont le plus souvent que des faux-semblants : la contrepartie des atteintes que la révision entend porter aux pouvoirs des assemblées dans un perspective qui affirme sans hésitations le primat de l’efficacité. Un exemple parmi d’autres : le louable souci de ménager le « temps précieux » des assemblées se traduit en réalité par une accélération des procédures, et donc, par une perte de pouvoir : si elles pourront bien « dégager trois semaines de séance à l’automne pour examiner des textes non budgétaires », c’est parce qu’elles disposeront de trois semaines de moins pour examiner le budget, autrement dit, la loi la plus importante de l’année, au seul profit du gouvernement, auteur du projet de loi de finances.
D’où, le sentiment que cette insistance sur la restauration du Parlement a pour principal objectif de faire passer (sinon de dissimuler) la réduction de ses pouvoirs.
- 2) La continuité avec la révision de 2008
C’est ainsi également qu’il faut comprendre les coups de chapeau répétés à la révision de 2008. « Le bilan de cette révision, largement partagé par les praticiens et les constitutionnalistes, conduit à penser qu’une partie de la démarche entamée en 2008 mérite d’être complétée pour lui donner sa pleine efficacité, tout en corrigeant les dispositions qui n’ont pas eu les effets bénéfiques escomptés ». Autrement dit, la révision de 2008, ayant eu pour finalité de rééquilibrer les institutions de la Ve République, et donc de réaffirmer le rôle du Parlement, doit être poursuivie par la nouvelle révision, qui pourra en outre la compléter et en corriger les éléments défaillants, c’est-à-dire, n’allant pas dans le sens de cette restauration du Parlement. Voilà pourquoi « il est proposé de tirer pleinement les conséquences de la révision de 2008 ».
En somme, si l’on envisage le contenu effectif du projet de loi constitutionnelle de 2018, et que l’on admet par ailleurs que la révision de 2008 a vraiment entendu rééquilibrer les institutions en procédant au renforcement du Parlement, il est évident qu’il y a un décalage complet entre les deux : bref, si l’on adhère à cette lecture parlementariste de la révision de 2008, la révision de 2018 n’en est aucunement l’héritière.
Les choses deviennent plus troublantes, en revanche, si l’on reconsidère, par-delà les déclarations de principe, la réalité de la révision du 23 juillet 2008, et le fait que celle-ci n’a entraîné qu’une apparence de rééquilibrage : à cet égard, sans adhérer pleinement à l’hypothèse avancée par Robert Badinter d’une révision visant à établir « l’hyperprésidence » ( « Non à l’hyperprésidence », Le Monde, 19 juillet 2008 ), il faut bien reconnaître que la restauration du Parlement qu’elle prétendait réaliser s’est avérée largement illusoire. Ce n’est que dans cette hypothèse que l’on peut considérer l’actuel projet de loi constitutionnelle comme le prolongement de la révision de 2008 – l’une et l’autre ayant utilisé l’argument d’une réaffirmation du Parlement en vue d’aboutir au résultat inverse.
II. Le classicisme du projet
[dropcap]S[/dropcap]i l’on dépasse le discours, lieu des apparences et des faux-semblants, pour s’intéresser au projet lui-même, on constate d’emblée l’extrême classicisme de celui-ci, qui n’hésite pas à se réclamer – non sans raisons -, de « l’esprit de la constitution de 1958 ». Cette dernière semblait au bord de l’agonie autour de l’an 2000, confrontée à plusieurs offensives convergentes qui dénonçaient ses archaïsmes insupportables et réclamaient son remplacement par une VIe république modernisée et rééquilibrée. Le projet de révision de 2018 confirme que ce cap dangereux a été dépassé – en particulier lorsqu’il rend un hommage appuyé, et assez inhabituel, à une Ve République ayant « apporté à la France une démocratie stable et efficace » ainsi que « des institutions robustes et équilibrées, permettant à l’État de mener son action en toutes circonstances, et ce, dans le respect des valeurs républicaines ».
Et de fait, ce que l’on retrouve dans le projet de 2018, ce sont trois orientations majeures qui caractérisaient déjà le texte de 1958 : le primat de l’efficacité, l’affaiblissement du Parlement et l’éloignement par rapport à la tradition républicaine.
A. Le primat de l’efficacité
« Ce qui, pour les pouvoirs publics, est désormais primordial », déclarait le général De Gaulle le 4 septembre 1958 en présentant aux Français son projet de constitution, « c’est leur efficacité ». De la même manière, cette idée est conçue comme déterminante dans le projet de loi constitutionnelle du 9 mai 2018, ainsi que l’indique son titre même, « Pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace.» On note au passage que dans les deux cas, en 1958 comme en 2018, le propos laisse entendre que les pouvoirs publics étaient jusqu’alors inefficaces ( « désormais »), ou en tout cas moins efficaces, et que c’est ce à quoi il faut remédier. Avec, à chaque fois, l’idée qu’un surcroît d’efficacité implique naturellement un renforcement de l’exécutif, seul à même de garantir la concentration et la rapidité de l’action.
- 1) La concentration
La concentration du pouvoir, nécessaire à son efficacité, se traduit, dans le projet de révision, sur plusieurs plans complémentaires.
Sur un plan structurel, d’abord, on doit citer l’article 1er , complétant l’article 23 de la constitution en prohibant « le cumul des fonctions ministérielles et des fonctions exécutive ou de président d’une assemblée délibérante dans les collectivités territoriales ainsi que dans les groupements ou personnes morales qui en dépendent ». Il correspond parfaitement à l’esprit de la constitution de 58 et à l’idée que les constituants d’alors, général De Gaulle en tête, se faisaient du ministre : comme quelqu’un qui doit être l’homme du gouvernement et de l’intérêt général, à l’exclusion de tout intérêt particulier, professionnel, partisan ou local.
« Cette mesure qui est aujourd’hui une pratique », précise donc l’exposé des motifs, « doit trouver place dans la constitution, afin d’écarter les situations de conflits d’intérêts, les ministres devant, par ailleurs, se consacrer pleinement à leurs fonctions ». En somme, le but est ici d’éliminer tout effet de dispersion ( dans les intérêts pris en compte comme dans le travail fourni) au nom de l’efficacité gouvernementale.
Que ces dispositions fassent par ailleurs mauvais ménage avec celles de l’article 25 al. 2 ( selon lequel les parlementaires ne font l’objet que d’un « remplacement temporaire en cas d’acceptation par eux de fonctions gouvernementales »), comme avec la pratique ( partiellement reprise aux dernières législatives) consistant à exiger des membres du gouvernement qu’ils se présentent le cas échéant aux élections législatives, et qu’ils remportent l’élection sous peine de perdre leur portefeuille, on en conviendra volontiers : comment être exclusivement ministre lorsque l’on est par ailleurs parlementaire « en puissance », que l’on sait que l’on retrouvera son siège au moindre problème, et que l’on a tout intérêt, de son ministère, à préparer son éventuel retour ou sa future réélection ? Il s’agit du conflit irréductible de deux logiques antagonistes.
Toujours est-il que celle qui figure dans le projet de loi constitutionnelle du 9 mai 2018 se situe pleinement dans la tradition de la Ve République, et traduit bien le primat de l’efficacité qui la caractérise.
Cet objectif se manifeste aussi, sur un autre plan, pas l’adjonction d’une nouvelle limite au principe de l’article 48, selon lequel, depuis la révision de 2008, l’ordre du jour est fixé par chaque assemblée. Parmi les limites inscrites à l’alinéa 3 de l’article 48, figuraient déjà « l’examen des projets de loi de finances, des projets de loi de financement de la sécurité sociale et, sous réserve des dispositions de l’alinéa suivant, des textes transmis par l’autre assemblée depuis six semaines au moins, des projets relatifs aux états de crise et des demandes d’autorisation visées à l’article 35 », l’ensemble des textes ainsi énumérés étant « inscrit à l’ordre du jour par priorité » à la demande du Gouvernement. L’article 8 du projet de loi constitutionnelle remplace la formule « et sous réserve des dispositions de l’alinéa suivant » par les mots « des textes relatifs à la politique économique, sociale ou environnementale, déclarés prioritaires par le gouvernement sans que les conférences des présidents s’y soient conjointement opposées ». Le champ d’application de cette nouvelle dérogation paraît extrêmement large – car quelles sont les questions qui, d’une manière ou d’une autre, ne relèvent pas de la politique économique, sociale ou environnementale ?- et le moyen de s’y opposer d’une pratique délicate (exigeant une opposition conjointe des Conférences des présidents des deux assemblées). Ce qui, au total, vide encore un peu plus de sa substance le principe énoncé dans l’alinéa premier de l’article 48 : désormais, l’ordre du jour des assemblées se retrouve pour l’essentiel, comme en 1958, sous la domination pratique du gouvernement.
Sur un autre plan, enfin, la révision constitutionnelle prévoit dans ses articles 4 (complétant l’article 42) et 6 ( modifiant l’article 47), le premier, la présence du gouvernement « en commission afin de faire valoir son point de vue », le second, « que les ministres viendront » à l’occasion de l’examen en commission du projet de loi de règlement « présenter devant les commissions l’exécution de leur budget ». Ce qui, quelles que puissent être les difficultés de l’exercice, leur permettra de renforcer leur contrôle sur l’activité des commissions.
La principale exception à cette tendance à la concentration porte une réforme dont le gouvernement pouvait difficilement faire l’économie : celle qui « prévoit de modifier l’article 65 de la constitution afin que les magistrats du parquet soient dorénavant nommés sur avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature, et non plus sur avis simple. » Ainsi, « les magistrats du parquet verront conforter leur indépendance déjà consacrée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel » – l’exposé des motifs tenant toutefois à préciser que cette indépendance n’affectera pas « le principe selon lequel les politiques publiques de la justice, dont la politique pénale, relèvent du gouvernement conformément à l’article 20 de la constitution. » En somme, l’exception n’aura qu’une portée et un poids limités.
- 2) La rapidité
La rapidité est une autre condition essentielle d’une politique efficace – comme le reconnaît expressément l’exposé des motifs lorsqu’il évoque « cette volonté d’utiliser de la manière la plus efficace le temps Parlementaire pour répondre aux attentes des citoyens. » Et de fait, le souci paraît omniprésent dans le projet de loi constitutionnelle : sur tous les plans, il faut « gagner un temps précieux ».
Il en va ainsi en ce qui concerne la fonction législative, en particulier, on l’a déjà noté, en matière financière : « aujourd’hui les articles 47 et 47–1 de la constitution fixent les délais dans lesquels les assemblées sont contraintes pour adopter le budget de l’État ou le budget social. Les articles 6 et 7 du projet de loi réduisent ces délais de sorte que ces textes puissent être examinée à l’automne en 50 jours » – au lieu de 70 actuellement selon l’article 47 al. 3.
Autre exemple, en cas de désaccord entre les deux chambres et d’échec du recours à la commission mixte paritaire. L’actuel article 45 al. 4 prévoit que « le Gouvernement peut, après une nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et par le Sénat, demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement. En ce cas, l’Assemblée nationale peut reprendre soit le texte élaboré par la commission mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat. » Mais dans l’état actuel du droit, remarque l’exposé des motifs, il arrive « que cette procédure dure de très nombreuses semaines sans que cela se justifie, alors même que nos concitoyens attendent que soient adoptée les textes ainsi en discussion. » En somme, il pointe un manque manifeste d’efficacité. Pour y remédier, le projet de loi constitutionnelle prévoit donc d’enserrer cette procédure dans des délais rigoureux, mais qui n’existaient pas jusqu’ici : le Sénat devant statuer dans les quinze jours suivant la demande faite à l’Assemblée nationale de statuer définitivement, sur le dernier texte voté par celle-ci, l’Assemblée ayant ensuite à statuer dans les huit jours suivant l’intervention du Sénat. La procédure arrivera ainsi à son terme après une durée qui n’excédera pas trois semaines. - Cette accélération des procédures ne concerne d’ailleurs pas seulement les assemblées : ainsi, en cas de divergence d’appréciation entre le gouvernement et une assemblée sur l’irrecevabilité d’un texte (article 41), l’article 3 du projet prévoit que le Conseil constitutionnel ne disposera plus que de trois jours, et non plus de huit comme c’est le cas actuellement, pour se prononcer sur la recevabilité des amendements.
B. L’affaiblissement du Parlement
En dépit des arguments rhétoriques évoqués plus haut ainsi que des apparences d’extension de ses compétences – autre ressemblance avec la constitution de 1958 qui se présentait à l’origine comme le retour à un parlementarisme authentique-, le Parlement paraît être la grande victime de la révision constitutionnelle.
- 1) Les pouvoirs législatifs
L’affaiblissement de ses pouvoirs législatifs résulte d’abord, de façon mécanique, du primat de l’efficacité affirmé par ailleurs, et qui, de fait, profite exclusivement à l’exécutif. Le projet de loi a beau insister sur « le temps éminemment précieux » des assemblées, c’est à chaque fois au détriment de celles-ci que sont accélérées les procédures, leur retirant par là-même le moyen de procéder à des débats ou à des réflexions approfondis.
Mais cet affaiblissement résulte également de certaines des dispositions phares de la révision, en particulier celles qui figurent dans les articles 3 et 4 du projet de loi constitutionnelle.
a) L’article 3, tout d’abord, vise à modifier l’article 41 de la constitution, relatif aux irrecevabilités, au motif ( assez discutable sur le fond…) que « mieux légiférer, c’est tout d’abord mieux faire respecter les règles constitutionnelles ». À cette fin, le I de l’article 3 propose de modifier, dans le sens d’un durcissement considérable, les dispositions de l’article 41, afin de faire en sorte que l’irrecevabilité soit désormais « systématiquement relevée » dans les cas suivants :
– Propositions de loi ou amendements étrangers au domaine de la loi
– Propositions de loi ou amendements dépourvus de portée normative
– Amendement sans lien direct avec le texte déposé ou transmis en première lecture - Dans ces trois premiers cas (futur 41, al. 1er ), l’irrecevabilité est conçue comme strictement obligatoire ( ces propositions ou amendements « ne sont pas recevables »), ce qui implique que le Conseil constitutionnel, saisi de la loi avant promulgation, devra en tirer toutes les conséquences.
A cela s’ajoute un quatrième cas, évoqué dans l’alinéa suivant de l’article 3, qui vise les propositions de loi ou amendements contraires à une habilitation accordée en vertu de l’article 38. Ce quatrième cas ( futur 41 al 2) relèvera quant à lui du choix discrétionnaire du gouvernement ou du président de l’assemblée saisie ( qui « peut opposer l’irrecevabilité »).
Par-delà les différences, on note que dans toutes ces hypothèses, c’est le pouvoir d’initiative des Parlementaires qui est principalement visé – et qu’en général, c’est le champ d’action de l’exécutif qui se trouve protégé, qu’il s’agisse du domaine réglementaire de l’article 37 ou du pouvoir d’ordonnance de l’article 38. - Par ailleurs, on constate à quel point cet article 3 s’avère restrictif à l’égard du droit d’amendement. Depuis une décision du Conseil constitutionnel 2003–472 DC du 26 juin 2003, les amendements étaient jugés recevables dès lors qu’ils n’étaient pas « dépourvus de tout lien » avec le texte qu’ils modifiaient. Cette inflexion jurisprudentielle avait par la suite été inscrite dans l’article 45 al. 1er de la constitution lors de la révision de 2008, selon lequel l’amendement était recevable « dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte transmis. » C’est avec cette perspective ouverte que rompt le futur article 41, en prévoyant que seront irrecevables les amendements « sans lien direct avec le texte déposé transmis en première lecture ». Ce qui a pour objectif manifeste de conforter le contrôle du gouvernement sur la procédure législative.
Enfin, sauf cas des lois de programmation, le futur article 41 déclare irrecevable les dispositions non normatives. Le conseil constitutionnel, depuis une décision 2005–512 DC du 21 avril 2005, avait pris l’habitude de censurer de telles dispositions, affirmant que la loi doit fixer des règles suffisamment précises et non équivoques. Cependant, l’inscription d’une telle irrecevabilité dans le texte constitutionnel manifeste une fois de plus le primat de l’efficacité : une disposition législative qui n’énonce pas une obligation ne sert à rien, elle n’est pas une véritable règle, et les assemblées n’ont pas de temps à perdre avec elle : elle doit donc être déclarée irrecevable.
Comme toujours, l’exposé des motifs tente d’établir des contre-feux visant à faire accepter ces révisions : « Ce faisant », explique-t-il « le Parlement pourra débattre de manière plus approfondie sur des amendements qui ont une réelle portée, et la loi adoptée sera de meilleure qualité ». (5) Il ajoute que cette irrecevabilité sera applicable aux amendements gouvernementaux, et en conclut que « chacun devra (…) faire œuvre de rigueur » (6). Mais quelle que soit l’épaisseur de ces rideaux de fumée, il n’en reste pas moins que l’article 3 tend à réduire significativement les marges de manœuvre dont dispose le- Parlement. - b) L’autre atteinte massive résulte de l’article 4 du projet de loi constitutionnelle, qui entend « rendre possible l’examen en commission d’un certain nombre de textes qui, en tout ou en partie, seraient mis seuls en discussion en séance, le droit d’amendement sur les articles relevant de cette procédure s’exerçant alors uniquement en commission », sous l’œil du gouvernement qui « doit être présent (…) afin de faire valoir son point de vue ».
Par conséquent, seuls seraient appelés en séance « les projets ou propositions justifiant un débat solennel », afin d’entraîner « un partage utile entre commissions et séance plénière ».
Si l’on reprend précisément ces dispositions, on comprend que coexisteront désormais deux types de procédures législatives :
– une procédure normale, simplifiée et accélérée, d’une part, se déroulant pour l’essentiel en commission sous le contrôle du gouvernement, et excluant la possibilité d’introduire des amendements après coup- puisque, selon le futur article 42, « le droit d’amendement sur les articles relevant de cette procédure s’exerce uniquement en commission ».
– Une procédure exceptionnelle, d’autre part, réservée aux seuls « projets ou propositions justifiant un débat solennel » ; le fait de savoir si le projet ou la proposition justifient bien un tel débat sera apprécié discrétionnairement par les assemblées elles-mêmes, qui restent donc maîtresses de leurs décisions. Enfin, ce n’est qu’au cours de cette procédure exceptionnelle que le droit d’amendement pourrait s’exercer en séance.
–
Comme de juste, l’exposé des motifs tente de rassurer ceux que pourrait inquiéter cette révolution procédurale en soulignant « que les travaux des commissions sont aujourd’hui largement rendus publics », et que « tous les parlementaires » pourront y défendre leur position ( à condition bien sûr qu’ils soient membres de la commission). A quoi il ajoute qu’un tel partage rendra la séance plénière « plus dynamique, et les débats qui se tiennent en son sein plus lisibles par nos concitoyens » ( sans préciser qu’il n’en ira ainsi que parce qu’elle sera généralement amputée ) .
Il n’empêche qu’il s’agit d’une atteinte grave à ce qui constitue traditionnellement l’un des droits principaux des parlementaires – l’étape suivante pouvant être de faire échapper le choix de la procédure, normale ou solennelle, au pouvoir discrétionnaire des assemblées, voire, à terme, de le supprimer…
- 2) Les pouvoirs de contrôle
Un surcroît significatif des pouvoirs de contrôle attribué aux assemblées vient-il compenser la diminution de leurs marges de manœuvre en matière législative ?
L’exposé des motifs le laisse entendre, en mettant en avant les pouvoirs d’évaluation renforcée dont disposeraient les assemblées : c’est ainsi que l’article 9 du projet de loi, modifiant l’article 48 al 4 de la constitution selon lequel « une semaine de séance sur quatre est réservée par priorité et dans l’ordre fixé par chaque assemblée au contrôle de l’action du gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques », y ajoute les mots « et à l’examen des projets ou propositions de loi qui en résultent » : l’objectif étant de « faire en sorte que, lors de ces semaines, dont l’organisation est souvent critiquée par les parlementaires eux-mêmes comme peu satisfaisante, puissent être examinés des textes, propositions ou projets de loi, tirant les conclusions de travaux d’évaluation menés par les Parlementaires. » Ce qui, à vrai dire, signifie simplement que lesdits « travaux d’évaluation » ne constitueront plus tout à fait des impasses dépourvues de débouchés comme de conséquences. Maigre compensation.
D’autant que par ailleurs, l’une des dispositions phares de la révision, son article 13, qui tend à supprimer la Cour de justice de la république, compétente pour juger des actes non détachables mais pénalement répréhensibles des ministres, réduit au moins indirectement les pouvoirs de contrôle du Parlement. Selon l’actuel article 68–2, en effet, douze des quinze juges qui composent cette cour sont parlementaires, six députés et six sénateurs – l’idée, qui remonte à la constitution directoriale de l’an III et que reprirent sans exception toutes les constitutions républicaines, étant qu’il appartient à la représentation nationale, et à elle seule, de juger les actes répréhensibles des ministres responsables devant elle lorsqu’ils les ont commis en tant que ministres – les autres actes relevant des juridictions ordinaires. La volonté de réformer le régime de la responsabilité pénale des ministres afin que celui-ci puisse être « mieux compris et accepté » de l’opinion publique est à vrai dire assez compréhensible, au vu des défaillances notoires de la Cour de justice de la république. Néanmoins, le fait de substituer à une instance politique composée de parlementaires une juridiction judiciaire de droit commun, la Cour d’appel de Paris, n’en constitue pas moins une nouvelle atteinte au rôle des parlementaires, et un renforcement du pouvoir des juges – ainsi qu’un tournant symboliquement significatif où on peut voir une forme de rupture avec la tradition républicaine.
C. L’éloignement de la tradition républicaine
Tel est d’ailleurs le dernier point caractéristique de la révision de 2018. Et en un sens, une preuve supplémentaire de son classicisme, du moins au regard de l’esprit de la constitution de 1958, qui sur tant de plans, semble prendre ses distances avec l’usage et la tradition des républiques précédentes. Ces indices d’éloignement, on les perçoit à la fois dans la promotion d’instances non élues, dans le pluralisme normatif, et dans une décentralisation très ambitieuse, conforme au « pacte girondin » évoqué par le président la république.
- 1) La promotion d’instances non élues
- Un premier indice tient à l’introduction dans la constitution d’une instance non élue appelée à remplacer le Conseil économique, social et environnemental sous le nom très significatif de « Chambre de la société civile » ( article 14 du projet de loi) – comme s’il s’agissait de passer d’une instance essentiellement administrative, le CESE, à un organe quasi politique – d’aucuns disent-même, supra-politique. Une troisième chambre ? « Si le besoin de rénovation de notre vie politique est intense, celui d’ouverture de nos institutions aux citoyens ne l’est pas moins » : d’où la création de cette Chambre dont la vocation sera « de représenter la société civile et de permettre un dialogue entre celle-ci et d’autres institutions », tout en étant « le carrefour des consultations publiques et de la participation citoyenne. » Une perspective qui n’est pas sans rappeler les idées avancées par le général De Gaulle dans le discours de Bayeux du 16 juin 1946, où il plaidait en faveur de l’introduction, au sein de la seconde chambre, « de représentants des organisations économiques, familiales, intellectuelles, pour que se fasse entendre, au-dedans même de l’État, la voix des grandes activités du pays ».
A l’époque, cette représentation du « pays réel » par des personnalités non élues avait été qualifiée par certains de « corporatiste », accusée d’être « un contrepoids au suffrage universel », et jugée peu compatible avec la tradition républicaine. C’est pourtant à cela que ressemble la « Chambre de la société civile » prévue dans le nouveau titre XI de la constitution, et détaillée dans les articles 69 à 71.
L’article 69 dispose ainsi que cette chambre « éclaire le gouvernement et le Parlement, après avoir organisé la consultation du public, sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux et sur les conséquences à long terme des décisions prises par les pouvoirs publics ».
L’article 70 précise qu’elle peut être saisie par voie de pétitions, dans des conditions qui, selon l’exposé des motifs, seront moins restrictives que les actuelles. « Ces pétitions qui pourront prendre une forme numérique seront analysées et discutées par la Chambre, en associant les pétitionnaires et, au besoin, des citoyens tirés au sort » : où l’on quitte décidément un système où l’élection était à la base de toute intervention publique.
Selon, l’article 71, enfin, la Chambre sera consultée de façon obligatoire, avant l’examen du texte par le Conseil d’État, sur les projets de loi ayant un objet économique, social et environnemental ; et elle pourra être consultée par le gouvernement, notamment sur les projets de loi à incidences financières ; par les assemblées, sur les propositions de loi; et par l’un et l’autre sur toute question à caractère économique, social ou environnemental. Compétence consultative à large spectre et fréquemment obligatoire, ce qui confirme l’importance de cette nouvelle institution.
- 2) Le Pluralisme normatif
- On peut voir un second indice de rupture avec la tradition issue de la Révolution, dans ce que l’exposé des motifs décrit comme « une nouvelle forme de décentralisation, celle de la norme, succédant à celle des compétences » : l’article 15 du projet de loi de révision tendant à modifier l’article 72 de la constitution pour y introduire « un droit à la différenciation entre collectivités territoriales » – à rebours du principe d’uniformité abstraite et d’interchangeabilité établi depuis un peu plus de deux siècles. En vertu de l’article 72 ainsi révisé, la loi, d’une part, pourra prévoir que « certaines collectivités territoriales exercent des compétences, en nombre limité, dont ne dispose pas l’ensemble des collectivités de la même catégorie » ; d’autre part, que des collectivités territoriales pourront « déroger, pour un objet limité, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences, éventuellement après une expérimentation autorisée dans les mêmes conditions ». C’est ainsi que l’expérimentation en question, précise l’exposé des motifs, n’aura plus pour « seule conclusion possible une généralisation à tous les territoires ou un abandon », comme c’est actuellement le cas, mais pourra « conduire à une différenciation pérenne. » En somme, mutation significative qui prolonge la révision de 2003, il pourra dorénavant être tenu pleinement compte « des spécificités » des diverses collectivités territoriales et « des enjeux qui (leur) sont propres. »
3. Au-delà de la décentralisation
C’est également dans le prolongement de la révision sur la décentralisation de 2003, et dans cette logique d’éloignement par rapport à la tradition républicaine, que se situent les articles 16 et 17 du projet de loi de révision – en prévoyant un statut de très large décentralisation au profit de la Corse et des collectivités d’outre-mer.
a) L’article 16 relatif à la Corse insère un nouvel article 72–5 dans la constitution, qui la définit comme une « collectivité à statut particulier au sens du premier alinéa de l’article 72 ». Il dispose que « les lois et règlements peuvent comporter des règles adaptées aux spécificités » de la Corse, dont il précise qu’elles peuvent être « liées à son insularité ainsi qu’à ses caractéristiques géographiques, économiques ou sociales ». Disposition lapidaire éclairée par l’exposé des motifs, selon lequel « cet alinéa permettra au législateur de créer des taxes locales propres à la Corse sans qu’il soit besoin de créer les mêmes sur le continent. Pour justifier ses créations, il ne sera pas nécessaire que les spécificités prises en compte soient absentes de chaque région continentale » (14-15). Ce qui signifie, en bon français, qu’il ne sera pas nécessaire que ces spécificités soient « spécifiques » à la Corse, et qu’en la matière, les pouvoirs publics disposeront donc d’une très large marge d’appréciation, comme le reconnaît l’exposé des motifs : « il sera ainsi possible de créer en Corse des impositions visant à tenir compte des spécificités engendrées par l’activité touristique saisonnière. Il sera aussi possible d’adapter les dispositions fiscales nationales. Le législateur pourra ainsi, dans la mesure évidemment où il estimera que c’est utile et justifié, adapter la fiscalité nationale, par exemple en confirmant les exonérations en matière de droits de mutation à titre gratuit. » (15) Enfin, le troisième alinéa du futur article 72–5 permettra sous certaines conditions à la collectivité de Corse de décider elle-même de ces adaptations dans les matières où s’exercent ses compétences, si elle y a été habilitée par la loi ou le règlement.
Autant d’innovations qui, à certains égards, tendront à rapprocher la France du modèle des Etats régionaux européens que sont l’Espagne ou l’Italie, tout en la détachant de la tradition égalitaire issue de la Révolution.
b) L’article 17 va encore plus loin. Concernant les collectivités d’outre-mer, il modifie l’article 73 de la constitution en leur permettant « de fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire dans un nombre limité de matières relevant de la loi ou du règlement », sur habilitation par décret en Conseil des ministres après avis du Conseil d’État.
On saisit ici l’audace juridique de cette innovation, qui permet au gouvernement d’habiliter une collectivité d’outre-mer à modifier ou à abroger, le cas échéant, des dispositions législatives.
Pour faire passer la pilule, l’exposé des motifs insiste sur le fait que « dans tous les cas, le Parlement conservera un droit de regard déterminant sur les normes ainsi fixées par ces collectivités ultra marines »(15), le gouvernement devant en effet déposer, à chaque session ordinaire, « un projet de loi de ratification des actes des collectivités pris en application du deuxième alinéa dans le domaine de la loi. Ces actes deviennent caducs en l’absence de ratification par le Parlement dans un délai de vingt-quatre mois suivant l’habilitation. » Ce dernier conservera effectivement un droit de regard, mais un droit dont on pourrait en revanche contester le caractère « déterminant » : à la fois parce que les décisions prises par les collectivités sur des matières relevant de la loi pourront, le cas échéant, demeurer applicables pendant près de deux ans avant de devenir caduques, et que dans ces conditions, il sera souvent délicat pour le Parlement de refuser leur ratification ; et parce que là encore, c’est le gouvernement qui mène le jeu, en autorisant par décret les collectivités ultramarines à fixer les règles en question.
Conclusion : Moderniser, dit-il ?
L’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle se conclut en affirmant que ses dispositions « permettront d’engager la rénovation des institutions attendue par les Français. (…) Elles poursuivent l’ambition de moderniser notre démocratie pour la rendre plus représentative, plus responsable et plus efficace. » On a constaté qu’en réalité, ces ambitions se résumaient à promouvoir une plus grande efficacité, et que telle est en définitive la perspective unique qui anime l’ensemble de la révision, les thèmes de la responsabilité et de la représentativité n’étant, pour l’essentiel, que des faire-valoir.
Cependant, même l’exigence d’efficacité rencontre ses limites, et se trouve confronté à l’« en même temps » caractéristique de la philosophie politique du nouveau président de la République. On le constate dans le dernier article du projet de loi constitutionnelle, avec la disposition relative à l’entrée en vigueur de la suppression de l’article 56 al. 2 de la constitution, selon lequel les anciens présidents de la république sont membres de droit du Conseil constitutionnel. Cette règle, rappelle l’exposé des motifs, « née dans le contexte particulier des origines de la Ve République, n’a plus lieu d’être pour un conseil constitutionnel dont la mission juridictionnelle a été soulignée par l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité en 2008 ». À vrai dire, elle s’avérait même extrêmement perturbante sur plusieurs plans, et apparaissait comme une bizarrerie singularisant le Conseil par rapport aux autres juridictions constitutionnelles. Il était donc grand temps de procéder à ce toilettage de la norme suprême, réclamée de longue date par la doctrine, les magistrats et le monde politique. Pourtant, l’article 18 du projet de loi constitutionnelle prévoit que les nouvelles dispositions de l’article 56 ne seront pas applicables « aux anciens présidents de la République qui ont siégé au Conseil constitutionnel l’année précédant la délibération en Conseil des ministres du projet de la présente loi constitutionnelle ». Périphrase tarabiscotée qui s’éclaire lorsque l’on sait que Jacques Chirac n’y siège plus depuis 2011, Nicolas Sarkozy depuis 2015, et que François Hollande n’y a pas siégé après la fin de son mandat : seul Valéry Giscard d’Estaing serait ainsi concerné par cette exception. Ce qui rend certes cette dernière moins problématique que si elle était applicable à d’anciens présidents beaucoup plus jeunes, mais ce qui montre aussi que même les impératifs d’efficacité, de clarté et de simplification ne sont pas à l’abri de… petits arrangements entre collègues.
Postface
La révision vue du côté conservateur
par Christophe Boutin
La réforme institutionnelle – et non pas seulement constitutionnelle – de grande ampleur qui se dessine en ce début d’été 2018 peut laisser songeur un conservateur. Peut-on, comme elle prétend le faire, tout à la fois renouer avec l’esprit de la Ve république et vouloir en moderniser les institutions au motif que les nouvelles technologies de l’information et de la connaissance seraient « le vecteur d’une accélération considérable du temps politique » ? Va-t-il falloir une nouvelle fois user de la formule favorite du Président pour dire qu’elle est « en même temps » esprit nouveau et principes de toujours, poids de l’histoire et concessions à l’actualité ?
« Moderniser notre démocratie en rendant nos institutions plus représentatives, plus responsables, plus efficaces », tel est l’objectif de la loi de révision constitutionnelle, fidèle en cela dit-elle à un engagement de campagne d’Emmanuel Macron. Si l’on en croit en effet le rapport de présentation, par leur vote de 2017, devant « l’épuisement » qui frapperait notre système politique, les Français auraient exprimé « un besoin d’être mieux représentés, de disposer d’élus plus en phase avec la société et devant rendre compte plus clairement des politiques qu’ils mettent en œuvre ». Dessinée pour répondre à ces attentes, hypothétiques ou réelles, si l’on en juge par l’image de la classe politique française dans l’esprit de nos concitoyens, la réforme institutionnelle atteint-elle son but ? Sans entrer dans le détail de ses trop nombreux aspects, examinons ce qu’il en est de la représentation nationale.
Une représentation sous tutelle.
L’une des mesures les plus importantes de la réforme est sans doute la réduction de 30% du nombre de parlementaires : on passerait ainsi de 577 députés à 404, et de 348 sénateurs à 244. Pour prendre la seule chambre basse, cela nous placerait dans un rapport de nombre élus par habitants d’un député pour 160.000 habitants, quand la moyenne internationale est plus proche d’un élu pour 100.000 habitants, une différence accrue si l’on retranche du nombre les députés élus à la proportionnelle, avec cette fois un député pour 190.000 habitants.
Cette modification est « en même temps » un retour à l’essence même du mandat et un changement de perspective. Retour à l’essence, puisque le député n’est pas, on le sait, l’élu d’une circonscription, mais simplement élu dans une circonscription. Une circonscription qu’ en tant qu’ « élu de la nation », il n’a nullement pour tâche de représenter à l’Assemblée nationale, où il n’intervient, conjointement avec ses collègues, que pour permettre d’exprimer collectivement la volonté générale. Mais changement de perspective aussi, puisque, déviation certes du principe théorique mais conséquence pratique du mode de scrutin, l’enracinement territorial du député dans sa circonscription et les contacts qu’il y noue avec ses électeurs lui donnent, assurent du moins certains, un indispensable lien avec « le terrain » et un sens des réalités bien nécessaire au moment justement du vote des lois.
Or la réforme mise en place, par son refus de trancher clairement entre les deux options, est doublement néfaste. Il est clair d’abord qu’au vu de la taille des nouvelles circonscriptions leurs élus n’en auront qu’une connaissance bien imparfaite, et que le fameux contact avec le terrain se limitera pour eux à écouter les représentants de l’administration déconcentrée ou décentralisée et ceux de certains lobbies. Une écoute attentive de leur part qui sera d’autant plus nécessaire que leur réélection dépendra, bien sûr, de l’attribution d’une circonscription par les instances partisanes – l’augmentation en taille des circonscriptions favorisant d’ailleurs les « parachutages » et le poids des partis en freinant les candidatures ssus du terrain – mais aussi, plus que jamais, de ces caisses de résonnance locales, de ces relais d’opinion maintenant obligés entre députés et citoyens.
Allant de pair avec cette diminution du nombre de députés élus au scrutin majoritaire, l’introduction d’une « dose de proportionnelle », permettant l’élection à ce scrutin de 15% des sièges de l’Assemblée nationale (60 ou 61), ne résout rien. La constitution de la liste favorisera d’abord un peu plus les jeux partisans, reproche bien connu fait au mode de scrutin proportionnel, mais en ayant garde d’oublier que la distribution des circonscriptions sera elle aussi plus que jamais, nous l’avons dit, du ressort du parti. Le seuil choisi est ensuite censé à la fois éviter l’instabilité des majorités et permettre aux « petits partis » d’avoir une représentation. Mais si, effectivement, certains de ces derniers pourront avoir ainsi des élus, les calculs nous apprennent aussi que la diminution du nombre de circonscriptions et l’art du découpage électoral pourraient bien, « en même temps », leur faire perdre leurs derniers élus au scrutin majoritaire…
On avait donc deux approches qui pouvaient l’une comme l’autre se justifier : d’une part, celle du député seulement représentant de la nation, et donc coupé des autres territoires ; de l’autre, celle du notable local, profondément implanté, apportant à Paris la voix d’une population dont il serait proche. Faute de trancher entre les deux, la réforme en cours augmente sans le dire le poids des structures partisanes et des réseaux de lobbies, contribuant ainsi un peu plus à ce que certains dénoncent comme la captation du pouvoir par une oligarchie. Et ce n’est pas la limitation du cumul des mandats dans le temps à trois consécutifs – pour les parlementaires mais aussi les exécutifs des collectivités départementales et régionales ou ceux des communes de plus de 9.000 habitants – qui va changer les choses. D’abord, parce que cette limitation porte atteinte à la liberté de suffrage sans autre justification que d’obliger au renouvellement. Ensuite, parce qu’il s’agit de trois mandats consécutifs, et que des jeux de chaises musicales peuvent permettre le contournement de la règle. Enfin parce qu’il ne s’agira finalement bien souvent que de troquer un mandat contre un autre, par un jeu d’appareil et de réseaux, sans que la démocratie ait à gagner à de telles manoeuvres.
Pseudo-légitimité contre suffrage.
Si donc le Parlement peine à faire entendre la voix des populations, et que le lien direct être l’élu et le peuple semble amoindri par cette réforme du Parlement, peut-être cette voix pourrait-elle se faire entendre ailleurs. C’est le deuxième point sur lequel nous voudrions insister, la création d’une « Chambre de la société civile » en lieu et place du « Conseil économique, social et environnemental ». Il est vrai que ce dernier n’a jamais vraiment trouvé sa place dans notre démocratie, trop peu consulté et moins encore écouté. Mais le pouvait-il ? Composé de 233 membres (160 nommés au titre de la vie économique et du dialogue social, 60 au titre de la cohésion sociale et territoriale et de la vie associative, 33 au titre de la protection de la nature et de l’environnement), il mêle on le sait des personnalités dont on apprend la qualification en même temps que la nomination, des chevaux de retour ayant perdu toute légitimité et des membres de divers lobbies, associations ou réseaux. On attendra la loi organique prévue pour savoir si les 155 membres de la nouvelle « Chambre » seront du même tonneau, mais il serait en tout cas pour le moins excessif de prétendre que nous entendrons ici la voix d’un « pays réel » confisquée par le « pays légal » des politiques.
Au-delà de cette première fragilité qu’est une légitimité rien moins que discutable, l’utilisation du terme même de « Chambre » en lieu et place de celui de « Conseil » d’une part, la prétention à représenter la « société civile » d’autre part, sont problématiques. La norme n’est pas en effet le produit de la société civile, composée de tous ceux qui résident sur un territoire, mais de la seule société politique des citoyens. Certes, la nouvelle Chambre, loin de légiférer, « éclaire le Gouvernement et le Parlement, après avoir organisé la consultation du public », et n’agit on le voit que dans le cadre d’un débat public dont on sait qu’il est devenu obligatoire comme préalable à l’élaboration de certaines décisions. Mais, d’une part, on sait aussi le peu de cas qui est fait d’un tel avis lorsqu’il ne correspond pas aux volontés des « porteurs de projet », et l’on comprend, d’autre part, l’usage légitimant tout à fait abusif qui pourrait en être fait en cas contraire, de l’avis de la « société civile », ici encore diront certains au bénéfice d’une oligarchie.
Et l’on voit ici le théâtre d’ombres nouveau que pourrait favoriser cette réforme. D’abord, une « Chambre de la société civile », aussi peu représentative que possible, mais cautionnée par son nom même et par des consultations aisément manipulables, apporterait à des projets de lois gouvernementaux une caution aussi bienvenue que « spontanée ». Ensuite, un Parlement aux effectifs réduits, encore plus soumis qu’auparavant à la tutelle partisane, les validerait avec rapidité (les délais raccourcis pour l’examen de certains textes prévus par la réforme) et discrétion (la portée de la séance publique étant réduite par cette même réforme).
On invoquera la nécessité d’une « efficacité » législative, évidemment souhaitable- mais il est permis de se demander si cette réforme servira la démocratie réelle ou tendra au contraire à favoriser toujours plus une « expertocratie » prétendument neutre et pragmatique mais visant en fait à imposer un choix de société majeur.
Or, si le penseur conservateur est effectivement favorable à l’existence d’indispensables élites et de hiérarchies légitimes, il ne peut accepter que des oligarchies de rencontre détruisent les bases sur lesquelles nos sociétés se sont construites pour leur substituer leurs fantasmes progressistes. La réforme institutionnelle en cours, malgré un ton parfois séduisant, peut favoriser cette dérive.
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