L’Assemblée générale du Conseil d’État, sa plus haute formation, a rendu un avis au Gouvernement sur les deux projets de loi instituant le système universel de retraite[1] qui comporte de nombreuses critiques sur ces projets qui « procèdent à une réforme du système de retraite inédite depuis 1945 et destinée à transformer pour les décennies à venir un système social qui constitue l’une des composantes majeures du contrat social »[2]. Les opposants à la réforme, de gauche comme de droite, y ont aussitôt vu un soutien à leurs nombreuses attaques, tandis que, sans surprise, les membres du gouvernement tentaient d’en minimiser l’impact.
Rappelons d’abord que l’avis du Conseil d’État est obligatoire sur les projets de loi, c’est-à-dire les textes préparés par le gouvernement[3], quand il ne l’est pas sur les propositions de loi, les textes présentés par les parlementaires – mais qu’il peut être demandé[4]. Pour les projets de loi, l’absence de consultation préalable du Conseil d’État entraîne donc l’inconstitutionnalité d’un texte dont la procédure d’édiction n’aurait pas été respectée. Pour autant, et quand bien même est-il donc parfois obligatoire de demander cet avis, il s’agit bien, dans un cas comme dans l’autre, d’un simple avis consultatif, que le gouvernement auquel il est adressé est libre de suivre ou non, et non d’un avis conforme, devant obligatoirement être respecté, qui lierait cette fois le pouvoir politique.
Reste que, même consultatif, l’avis du Conseil d’État est important, car l’un des éléments justifiant cet avis préalable est la nécessité qu’a le nouveau texte de trouver sa place dans la hiérarchie des normes. La loi, quand bien même est-elle votée par un parlement qui agit en tant que représentant du souverain, le peuple, doit en effet respecter deux niveaux supérieurs de normes : celui de la Constitution d’abord – le Conseil constitutionnel a rappelé dans sa jurisprudence que la loi ne saurait représenter la volonté générale que « dans le respect de la Constitution »[5] -, celui des traités et accords internationaux ensuite[6]. On demande donc au Conseil d’État d’envisager dans ses avis les éventuelles contradictions qui pourraient exister entre le projet qui lui est soumis et les textes qu’il devrait respecter, pour éviter de voir le texte définitif, voté par le Parlement et parfois même promulgué par le Président de la République, déclaré inapplicable par un juge.
C’est pourquoi l’avis du Conseil d’État traite de la constitutionnalité du texte présenté, pour tenter purger ce qui pourrait être sanctionné, ici, par le Conseil constitutionnel. Ce dernier connaît en effet diverses saisines qui, toutes, peuvent concerner les textes en préparation sur les retraites. Une première, obligatoire, concerne les lois organiques[7], or l’un des projets est un projet de loi organique. Une deuxième est la saisine facultative a priori, c’est-à-dire avant la promulgation de la loi par le Président de la République[8], par des autorités de saisine, et notamment des parlementaires de l’opposition[9]. La troisième enfin, a posteriori, et seulement pour des questions touchant aux libertés, est la saisine opérée dans le cadre de cette « question prioritaire de constitutionnalité » que peuvent initier les citoyens devant le juge judiciaire ou administratif[10].
Dans ce pré-contrôle de constitutionnalité, il s’agit pour le Conseil d’État saisi du projet de loi pour avis de voir si le législateur respecte la forme, c’est-à-dire la procédure selon laquelle le texte doit être adopté, mais aussi et surtout le fond, et donc notamment les libertés publiques telles qu’elles sont proclamées dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Préambule de 1946, où la Charte de l’environnement. Il tient compte sur tous ces points de la jurisprudence antérieure du Conseil constitutionnel et veille à éviter au législateur certaines dérives sanctionnées par les « neuf sages », comme par exemple cette « loi bavarde » aux « neutrons législatifs » dénoncés en son temps par Pierre Mazeaud, ou la faiblesse de l’étude d’impact qui doit maintenant accompagner les textes.
En dehors de l’examen de cette indispensable conformité à la Constitution, le Conseil d’État évoque aussi dans ses avis deux autres compatibilités nécessaires, relevant cette fois du contrôle de conventionalité. La première concerne la compatibilité du nouveau texte à la Convention européenne des droits de l’homme, signée dans le cadre du Conseil de l’Europe, et au sujet de laquelle la France a autorisé le recours individuel de ses citoyens. Il s’agit cette fois d’éviter à notre pays d’être condamné par la Cour européenne des droits de l’homme comme portant par ce texte atteinte aux droits et libertés de ses citoyens. Enfin, troisième élément et non le moindre de cet ordonnancement juridique, le texte de loi ne doit pas non plus être contraire aux engagements et traités internationaux signés par la France, et notamment aux textes européens, droit originaire mais surtout droit dérivé produit par l’Union européenne, ces règlements et directives qui encadrent l’action de la France et dont la violation rend possible sa condamnation par la Cour de justice de l’Union européenne.
On le comprend, l’avis du Conseil d’État est donc une précaution essentielle pour éviter d’inutiles condamnations du législateur par les juridictions nationales et internationales et permettre la cohérence de notre droit, et c’est à cette aune qu’il faut mesurer l’impact que peuvent avoir les réserves qu’il peut contenir. Certes, on l’a dit, le gouvernement comme le parlement peuvent passer outre, mais il leur faudrait alors en assumer les conséquences, celles de très prévisibles condamnations par des juges qui ne pourront ignorer l’avis préalable du Conseil et auront tendance à en reprendre certaines analyses juridiques. Des condamnations qui rendraient inapplicables certaines dispositions seulement si l’on peut les séparer du reste, le texte entier sinon, et presque impossibles à contourner : dans l’hypothèse de la déclaration d’inconstitutionnalité il faudrait pour cela réviser la Constitution, ce qui suppose d’avoir une majorité parlementaire ou de risquer la voie référendaire ; dans celle de la contrariété à des instruments juridiques internationaux, il faudrait envisager, à l’extrême, de sortir du champ d’application la Convention européenne des droits de l’homme… ou de l’Union européenne.
Or, de critiques, l’assemblée générale du Conseil n’en a point manqué sur les projets de loi portant modification du régime des retraite. Simple épisode donc d’une guerre politico-médiatique qui rythme le conflit social ? Nombre de juristes se sont étonnés du caractère tranché de certaines affirmations du Conseil, surtout au regard des conséquences qu’elles pourraient avoir sur la viabilité de la réforme, et il convient donc de voir quelles critiques, sur la forme comme sur le fond, le Conseil a pu porter sur les actuels projets de réforme (I). Mais derrière l’aspect purement juridique de la question, il faut aussi se demander si ce conflit entre le Conseil et le gouvernement ne traduit pas une opposition qui serait en train de se cristalliser dans la haute administration, entre un pôle « progressiste » et un pôle « conservateur », avec des conséquences importantes quant à l’appréhension que l’on peut avoir d’un supposé « Système » oligarchique placé à la tête de l’État (II).
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Notes :
[1] Avis du Conseil d’État sur les projet de loi organique et projet de loi instituant un système universel de retraite, délibéré et adopté par l’Assemblée générale du Conseil d’État dans ses séances des jeudis 16 et 23 janvier 2020. https://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Les-avis-du-Conseil-d-Etat-rendus-sur-les-projets-de-loi/2020/Projet-de-loi-organique-relatif-au-systeme-universel-de-retraite-SSAX1936435L-et-projet-de-loi-instituant-un-systeme-universel-de-retraite-SSAX1936438L-24-01-2020
[2] Point 6.
[3] Article 39 al.2 de la Constitution : « Les projets de loi sont délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil d’État […] ».
[4] Article 39 al.5 de la Constitution : « Dans les conditions prévues par la loi, le président d’une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d’État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l’un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s’y oppose ».
[5] Décision ,n°85-197 DC du 23 août 1985.
[6] Article 55 Constitution : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».
[7] Article 61 Constitution : « Les lois organiques, avant leur promulgation, […] doivent être soumis au Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la Constitution ».
[8] Article 10 Constitution : « Le Président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée ».
[9] Article 61 Constitution : « Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs ».
[10] Article 61-1 Constitution : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».